Cinglants. Accablants. Les qualificatifs manquent pour décrire les témoignages qui se sont succédé samedi lors de la conférence sur les droits humains en Algérie. Plusieurs avocats ont dressé un réquisitoire implacable contre la répression politique qui sévit dans le pays.
« Violations flagrantes de la loi », « dérives autoritaires » ou encore « recul terrifiant des libertés fondamentales » ...Les intervenants n'ont pas mâché leurs mots pour dénoncer la dégradation alarmante de l'État de droit sous la présidence d'Abdelmadjid Tebboune.
Preuve en est, pour Maître Mustapha Bouchachi, doyen respecté du collectif de défense des détenus d'opinion, « les droits et libertés dont jouissaient les Algériens dans les années quatre-vingt après l'ouverture démocratique étaient bien meilleurs que les droits que les Algériennes et les Algériens perdent aujourd'hui ».
Prenant appui sur des exemples concrets, l'avocat pointe du doigt « la régression des libertés de la presse et de la diversité médiatique, avec l'emprisonnement de journalistes et l'augmentation des poursuites à leur encontre, la fermeture d'institutions médiatiques, et l'ignorance quotidienne des médias des audiences des prisonniers d'opinion et des journalistes ».
Maître Bouchachi s'alarme également des récentes affaires de torture et de vol de documents impliquant des défenseurs des droits humains. « Cela constitue une menace non seulement pour les droits de l'homme, mais aussi pour les droits économiques et sociaux du pays », estime-t-il.
Des pratiques remettant en cause l'État de droit
De son côté, Maître Fetta Sadat pointe certaines dispositions de la Constitution algérienne qui, malgré les garanties affichées, restent lettre morte dans les faits. « La détention provisoire demeure la règle plutôt que l'exception », déplore-t-elle.
L'avocate s'interroge également sur la prolongation abusive de la détention provisoire, empêchant toute communication téléphonique pendant des mois, ainsi que sur « le phénomène récent de l'interdiction de quitter le territoire national » sans justification légale.
Autre motif d'inquiétude, selon Maître Sadat : « On observe qu'un grand nombre de cas présentés devant la justice sont dérivés de l'idée de criminaliser l'opinion, criminaliser l'idée, criminaliser la position ». Une tendance qui va à l'encontre du principe constitutionnel de « souveraineté nationale en théorie, en idée et en liberté de détermination ».
Maître Abdelghani Badi abonde dans le même sens, dénonçant des « violations, des abus, et malheureusement, une violation manifeste de la Constitution et de la loi » de la part des autorités judiciaires.
Il cite notamment le cas de certains procès politiques où « le principe de la non-rétroactivité des lois a été piétiné ». En effet, selon lui, « des militants ont été condamnés sur la base de modifications législatives intervenues après les faits qui leur sont reprochés ». C'est le cas par exemple de détenus condamnés pour « appartenance à une organisation terroriste » comme le MAK ou Rachad, alors que cet amendement au code pénal ne date que de 2020.
« On ne peut pas reprocher à quelqu'un en 2022 des faits qui n'étaient pas réprimés par la loi en 2019 ! », s'insurge l’avocat.
Il s'agit selon lui d'« une violation caractérisée des principes élémentaires du droit, qui prouve que la justice algérienne est instrumentalisée à des fins politiques dans certains dossiers ».
Maître Badi cite également des cas de militants politiques et de journalistes arrêtés pour de simples publications Facebook datant de plusieurs années. « La machine judiciaire ressort de vieilles publications pour motiver des arrestations actuées, c'est inacceptable », déplore-t-il.
L'avocat résume ainsi le problème : « La protection constitutionnelle est bafouée dès l'arrestation arbitraire, et toutes les étapes ultérieures de la procédure sont entachées d'irrégularités manifestes.»
Enfin, Maître Noureddine Ahmine résume en une phrase glaçante la situation des libertés publiques dans le pays : « Recul terrifiant des droits de l’homme en Algérie ». Avant de conclure : « Depuis 2019, le sang n'a pas coulé une seule fois, mais le régime a placé la société algérienne comme si elle était en guerre. Il a déclaré la guerre contre le peuple, ce qui est inacceptable et indigne. »
Sophie K.
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