Algérie : dix-huit anciens cadres du FIS condamnés à des peines de prison ferme
- cfda47
- 28 juin
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Le tribunal de première instance d'Alger a prononcé vendredi des condamnations à l'encontre de dix-huit anciens responsables du Front islamique du salut (FIS), parti dissous depuis 1992. Après vingt et un mois de détention préventive, ces hommes écopent de peines allant de deux à quatre ans de prison ferme.
La cour a infligé les sanctions les plus lourdes à six prévenus, condamnés à quatre années d'emprisonnement : Ben Hadjar Sidi Ali, Zaaoui Ahmed, Rahmani Mahfoud, Garfa Badredine, Youcef Boubras et Tourkman Nasredine. Onze autres accusés ont reçu des peines de trois ans : Saadi Mabrouk, Mekki Si Belhoul, Hachmaoui Ben Yamine, Kanoun Kamal, Khanchali Merzougue, Boutchiche Kaddour, Barhal Chamsedine, Chahid Mohamed, Ben Aissa Mohamed, Darai Mokhtar et Mouloud Hamzi. Belkacem Khancha a été condamné à deux ans de prison ferme.
Ces condamnations font suite à la publication d'un communiqué politique le 30 septembre 2023. Dans ce texte, les signataires réclamaient la levée des restrictions imposées aux activités politiques et médiatiques, la libération des détenus d'opinion et l'ouverture d'un dialogue national inclusif.
Le parquet les accusait d' “atteinte à l'unité nationale”, de “diffusion de publications portant préjudice à la sécurité et à l'ordre public”, ainsi que “d'exploitation des blessures de la tragédie nationale” - référence à la décennie noire - pour “porter atteinte à la sûreté de l'État”.
Le tribunal a néanmoins abandonné l'accusation principale de “création d'une organisation visant à mener des activités interdites”, prévue par l'article 87 bis du code pénal. Cette requalification a permis d'éviter des peines plus lourdes aux prévenus.
Le prix du sang : 200 000 morts et des milliers de disparus
Cette condamnation ne peut être comprise sans replonger dans l'horreur de la décennie noire, période où l'Algérie a sombré dans une spirale de violence inouïe. En décembre 1991, le FIS remportait massivement les élections législatives. L'annulation du scrutin par l'armée en janvier 1992 ouvrait les vannes de l'enfer.
Entre 1992 et 2002, le terrorisme intégriste, nourri par l'idéologie radicale du FIS, a ensanglanté l'Algérie : entre 150 000 et 200 000 morts selon les estimations officielles. Des villages entiers rayés de la carte, des familles décimées, des intellectuels abattus pour avoir refusé l'obscurantisme. Les Groupes islamiques armés (GIA) et l'Armée islamique du salut (AIS) ont transformé le pays en abattoir à ciel ouvert.
Mais ce bilan macabre ne dit pas tout. À ces morts s'ajoutent entre 8 000 et 15 000 disparitions forcées, selon les associations de familles de victimes. Des hommes, souvent jeunes, arrêtés par les forces de sécurité et qui ne sont jamais rentrés chez eux. Des épouses devenues veuves sans le savoir, des enfants orphelins sans sépulture pour pleurer leur père.
Ces disparitions, dommage collatéral tragique d'une guerre sale, ont créé une autre catégorie de victimes : les familles brisées par l'incertitude. Pendant des décennies, mères et épouses ont arpenté les commissariats, les casernes, les morgues, cherchant une trace de leurs proches volatilisés. L'État algérien a longtemps nié ces disparitions avant de reconnaître, d’une manière très particulière, ses “erreurs” et ses “dérapages”.
En 2005, la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH), présidée par Farouk Ksentini, a remis un rapport reconnaissant 6 146 cas de disparitions “du fait d'agents isolés de l'État”, mais en concluant que “l'État est responsable mais pas coupable” du fait de la “rupture des chaînes de commandement” qui a permis à certains agents d'agir individuellement.
Cette double tragédie - le terrorisme islamiste et la répression aveugle qui a suivi - a laissé des cicatrices béantes dans la société algérienne. Les bourreaux intégristes ont semé la mort au nom d'un Islam dévoyé, tandis que la machine sécuritaire a broyé des innocents dans sa lutte contre l'hydre terroriste.
Aujourd'hui, ces dix-huit condamnés payent le prix d'un passé qui refuse de passer. Leurs avocats crient à l'acharnement judiciaire, mais leurs clients portent le poids d'une responsabilité historique. Le FIS a engendré les monstres qui ont plongé l'Algérie dans l'abîme.
Trente ans après, l'Algérie n'a toujours pas tourné cette page sanglante. Ce verdict confirme que l'État algérien n'est pas prêt à pardonner à ceux qui ont ouvert la boîte de Pandore du fanatisme religieux.
Amine B
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