Benjamin Stora : “Parler d'un privilège algérien, c'est du fantasme politique”
- cfda47
- 2 nov.
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Dernière mise à jour : il y a 5 jours

L'historien spécialiste de l'Algérie réagit au vote de l'Assemblée nationale française et démonte l'argument d'un prétendu avantage migratoire accordé aux Algériens. Un accord vidé de sa substance depuis des décennies, selon lui.
Juste après le vote polémique à l'Assemblée nationale française, où les députés ont adopté une résolution du Rassemblement national réclamant l'abandon de l'accord franco-algérien de 1968, l'historien Benjamin Stora a pris la parole dans La Voix du Nord. Et il n'y est pas allé par quatre chemins.
Spécialiste de l'histoire algérienne contemporaine, Stora démonte point par point les arguments de la droite et de l'extrême droite, qui continuent de présenter cet accord comme un “cadeau migratoire” fait aux Algériens. “L'accord de 1968 a perdu tout contenu depuis des décennies. Il ne donne plus aucun avantage par rapport aux autres étrangers installés en France”, explique-t-il simplement.
Signé six ans après l'indépendance, cet accord était censé organiser la circulation, le séjour et l'emploi des Algériens en France. Mais selon Stora, c'était déjà un recul par rapport aux Accords d'Évian, qui garantissaient la libre circulation entre les deux pays. “En 1968, De Gaulle voulait reprendre le contrôle des frontières, y compris pour les Algériens. Il a maintenu quelques dispositions symboliques, mais le principe de libre circulation était déjà enterré”, précise l'historien.
Le démantèlement a commencé dès 1974 sous Giscard d'Estaing, avec la fermeture officielle des frontières à l'immigration de travail. En 1986, la France impose le visa aux Algériens. Les files d'attente interminables devant les consulats deviennent la règle. En 1993, même les étudiants sont touchés par les restrictions. “Pendant les années de terrorisme en Algérie, la France n'a pas rouvert ses portes, malgré le drame vécu par des milliers de familles”, rappelle Stora.
Face au discours du RN et d'une partie de la droite, Stora est catégorique : “Parler encore d'un privilège algérien aujourd'hui, c'est une fiction politique. Cet accord est vide depuis longtemps. Le ressortir maintenant, ce n'est pas du droit, c'est de l'idéologie”. Pour lui, ce vote à l'Assemblée, remporté à une voix près grâce au soutien de députés LR et Horizons, révèle “une dérive symbolique dangereuse”. Une dérive alimentée par la peur de l'immigration et le calcul électoral. Côté algérien, c'est vécu comme “une humiliation de plus”, une remise en cause permanente de la relation entre les deux pays.
Auteur du rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie remis à Emmanuel Macron en 2021, Stora déplore que la classe politique française veuille “tourner la page sans la lire”. “On fait face à un discours qui veut effacer l'histoire au lieu de la comprendre. Comme si la guerre d'Algérie n'était jamais vraiment finie”, dit-il. Pour Stora, ce vote est un nouvel épisode d'instrumentalisation de la mémoire, au moment même où la France et l'Algérie tentent péniblement de reconstruire un dialogue sur les questions migratoires, historiques et symboliques.
Sophie A.



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