Ce jour-là, le 18 juillet 1979, la fine fleur du parti Baas est réunie à Bagdad, dans la grande salle Khulde (éternité). Des caméras sont en place. Saddam Hussein, uniforme et cigare, monte à la tribune.
Deux jours plus tôt, son cousin, le général Al Bakr, chef nominal du régime, a enfin consenti, malade, à passer la main.
Numéro deux et véritable maître du pays depuis 1968, Saddam peut devenir président.
Mais certains caciques renâclent, ils aimeraient organiser une élection interne au parti.
Saddam, la mine triste, commence à parler. Il y a eu, dit-il, une trahison. Un complot tissé en Syrie, l'ennemie jurée !
Saddam s'assied. De derrière un rideau, on fait venir Mohyi Abd Al Hussein Mashadi, secrétaire général du conseil de commandement révolutionnaire, l'organe dirigeant.
Torturé depuis plusieurs jours, il avoue avoir conspiré. Il égrène des dates, des lieux. Il livre la liste de ses complices. Dès qu'un nom est prononcé, des gardes s'emparent de l'accusé et l'entraînent hors de la salle. Si l'un proteste de son innocence, Saddam crie : « Itla ! Itla ! » (« Dehors ! Dehors ! »).
L'auditoire est terrorisé:
Soixante « traîtres » sont désignés et emmenés, dont vingt et un hauts dirigeants et certains des plus proches compagnons de Saddam, qui revient à la tribune. Il répète les noms. Il est ému. Des larmes glissent sur ses joues.
Dans la salle, beaucoup pleurent avec lui, ébranlés et, surtout, soulagés. Puis l'assemblée éclate en applaudissements.
Les quelque trois cents responsables épargnés sont éclairés sur les méthodes du chef. Et bientôt le pays tout entier, où circulent les cassettes vidéo de cette séance.
Dans son livre « Saddam Hussein, le voyou de Bagdad », Jérémy André raconte :
« En 1956, Saddam Hussein participe au coup d’Etat qui détrône un Roi étranger imposé en Irak par le Royaume-Uni. Mais ce coup d’Etat sera un échec et il faudra attendre 1958 pour qu’un groupe d’officiers sous la direction du général Kassem réussisse à renverser la monarchie. Le 7 Octobre, le jeune Saddam Hussein qui n’est qu’un subalterne d’homme de main participe à la tentative d’assassinat du général Kassem, tentative qui échoue et se solde par une blessure. Avant d’être condamné à mort par contumace par le gouvernement irakien, il se refugie en Egypte.
Le 8 février 1963, un coup d’Etat réussi renverse Kassem et propulse le général Aref au pouvoir alors que celui-ci s’est appuyé sur des groupes bassistes. Saddam Hussein décide alors de revenir en Irak mais il sera emprisonné par le gouvernement de 1964 à 1967, date de son évasion.»
La vie publique de Saddam Hussein a commencé sur un immense malentendu. Jusque-là totalement inconnu, il surgit sur la scène internationale au printemps 1972.
Le 1er juin, l’Irak a nationalisé la Compagnie irakienne de pétrole, propriété d’un consortium de sociétés occidentales – BP, Shell, Esso, Mobil et la Compagnie française des pétroles, l’ancêtre de Total.
Saddam Hussein n’est alors que l’adjoint du président Ahmad Hassan al Bakr, mais c’est lui qui a supervisé toute l’opération.
Deux semaines plus tard, le 14 juin, le « numéro 2 irakien », annonce la presse, atterrit à Orly pour négocier un accord particulier avec Paris, qui refuse de faire front commun avec Londres et Washington. Le représentant de Bagdad est reçu sur le tarmac par la Garde républicaine et le Premier ministre d’alors, Jacques Chaban Delmas…
À la tête de l’Irak à partir du début des années 1970, Saddam Hussein s’est construit une légende : celle d’un chef arabe moderne, ambitieux, guerrier, ennemi de l’impérialisme américain et d’Israël, père de sa nation soutenu par un État policier tout-puissant.
En coulisse, le maître du Baas irakien n’a eu de cesse de faire régner la terreur, de massacrer ses compatriotes, et de prendre les décisions les plus catastrophiques – guerre contre l’Iran, annexion du Koweït, usage répété d’armes chimiques –, dont le peuple irakien a chèrement payé les conséquences.
L'Irak a toujours considéré le Koweït, ancienne province ottomane placée sous protectorat britannique, comme une des ses provinces.
De 1990 à 2003, l'embargo sur l'Irak a été dramatique pour la population avec des centaines de milliers de morts à cause de la famine. La moitié de la population avait quitté le pays.
Sa chute sera finalement provoquée par les attentats du 11 septembre 2001, avec lesquels il n’avait pourtant aucun lien !
Fondée sur des mensonges, l’invasion américaine de 2003 constitue le péché originel du xxie siècle:
Accusant, l’Irak de détenir des armes de destruction massive et d'entretenir des relations étroites avec des organisations terroristes telles qu'al-Qaïda, une coalition d'États menée par les États Unis et le Royaume Uni envahit l'Irak pour renverser Saddam en 2003 lors de la deuxième guerre du Golfe.
Pourtant, quelques années plus tard, Tony Blair avouera publiquement que ces allégations n’étaient pas fondées.
Le Président George Bush, lui, reconnaîtra, en 2008, sur la chaîne de télévision ABC News : « Le plus grand regret de toute cette présidence consistera dans la défaillance du renseignement en Irak. »
Quant à Colin Powell, le secrétaire d'Etat par qui la guerre arriva, il avouera en 2013, dans une interview accordée à L'Obs :« Depuis que j'ai découvert qu'un grand nombre d'informations que l'on m'avait fournies étaient inexactes, je ne cesse de me demander : qu'aurais-je dû faire pour éviter cela ?.»
Ainsi, le 20 mars 2003, les États-Unis et leurs alliés attaquent l'Irak sans l'appui des Nations unies et renversent Saddam Hussein à l'issue d'une guerre qui durera un peu plus d’un mois.
C’est d’ailleurs la chute de Bagdad, le 9 avril 2003, qui marquera la fin officielle du régime baasiste en Irak.
Après plusieurs mois de clandestinité, Saddam Hussein ne peut plus s’échapper plus longtemps et l'armée américaine l’arrête à Tikrit dans la nuit du 13 au 14 décembre 2003.
Le 5 novembre 2006, après plusieurs années de procès, il sera condamné à mort par pendaison.
Le 30 décembre 2006, les images secrètement filmées d'un Saddam refusant de mettre une cagoule sur la tête, quelques secondes avant sa pendaison, font le tour du monde.
Condamné par un tribunal spécial irakien pour crime contre l'humanité, l'ancien dictateur irakien a été exécuté par pendaison après neuf mois de traque et trois ans de captivité. Il avait 69 ans.
Saddam Hussein était le cinquième président de la République d'Irak:
Un des berceaux de la civilisation, ne semble pas aller mieux. Si l'ère Saddam a été pour le moins mouvementée, l'après Saddam l'a été davantage.
Le destin du pays du Tigre et de l'Euphrate est loin d'être un long fleuve tranquille.
Lila Mokri