Un rapport alarmant de l'ONU, couvrant la période de mai 2023 à avril 2024, dévoile une inquiétante escalade de la répression en Algérie, ciblant spécifiquement les individus et les organisations osant collaborer avec les Nations Unies sur les questions de droits humains. Cette tendance révèle une stratégie délibérée visant à isoler la société civile algérienne et à entraver tout examen international de la situation des droits de l'homme dans le pays.
L'affaire de Mustapha Bendjama, rédacteur en chef du journal régional « Le Provincial », illustre de manière frappante cette nouvelle politique répressive. Arrêté en février 2023, Bendjama a été inculpé pour « réception de financements d'institutions étrangères » et « publication d'informations classées secrètes ». Plus troublant encore, son acte d'accusation mentionne explicitement sa rencontre avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) comme élément à charge. Cette instrumentalisation du système judiciaire pour punir la coopération avec l'ONU constitue une violation flagrante des engagements internationaux de l'Algérie et envoie un message glaçant à tous ceux qui envisageraient de partager des informations avec les instances onusiennes.
Représailles systématiques suite aux visites des rapporteurs de l'ONU
Le rapport met en lumière un schéma inquiétant de représailles contre les défenseurs des droits humains ayant interagi avec les rapporteurs spéciaux de l'ONU lors de leurs visites officielles. Le cas d'Ahmed Manseri, membre de la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l'Homme (LADDH), est particulièrement révélateur. Après avoir rencontré le Rapporteur spécial sur la liberté d'association et de réunion pacifique en septembre 2023, Manseri a été détenu et accusé d' « appartenance à un groupe terroriste ». Cette accusation grave, basée sur des preuves aussi ténues qu'une photo le montrant avec le Rapporteur spécial, démontre la volonté des autorités d'exploiter la législation antiterroriste pour museler les voix dissidentes.
D'autres défenseurs, tels que Malik Riahi, Kacem Said et Chahrazad Ben Fryawa, ont fait l'objet de surveillance et d'intimidation après avoir rencontré le même Rapporteur spécial. Ces actes de harcèlement, allant de la filature à des convocations policières, créent un climat de peur dissuadant toute future collaboration avec les mécanismes onusiens.
Obstacles systématiques à la participation internationale
Le rapport souligne également les efforts déployés par les autorités algériennes pour empêcher la société civile de participer aux processus internationaux d'examen des droits de l'homme. Les cas de Jamila Loukil et Kaddour Chouicha, membres de la LADDH, sont emblématiques. Empêchés de voyager pour participer à l'Examen Périodique Universel de l'Algérie en 2022, leur situation illustre l'utilisation arbitraire des interdictions de sortie du territoire comme outil de répression. Le flou entourant ces interdictions, souvent justifiées par de vagues considérations de sécurité nationale, révèle une stratégie délibérée visant à isoler les défenseurs des droits humains de leurs soutiens internationaux.
Un arsenal législatif au service de la répression
Le rapport met en exergue l'utilisation abusive de lois aux contours délibérément flous, notamment l'article 95 bis du Code pénal et l'ordonnance 21-09 sur la protection des données. Ces textes, critiqués pour leur formulation vague, accordent aux autorités un pouvoir discrétionnaire considérable pour poursuivre les défenseurs des droits humains recevant des financements étrangers ou partageant des informations jugées sensibles. Cette législation constitue un obstacle majeur à la coopération internationale de la société civile algérienne et contrevient aux normes internationales en matière de liberté d'association et d'expression.
Une atmosphère de peur qui s'installe durablement
Les cas documentés dans le rapport ne représentent que la partie visible d'un phénomène plus large. Lors de sa visite en Algérie en novembre-décembre 2023, la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Mary Lawlor, a noté que de nombreux activistes ont refusé de la rencontrer par crainte de représailles. Certains ont même signalé avoir été empêchés par la police de se rendre à des rendez-vous avec elle. Cette atmosphère de peur et d'autocensure témoigne de l'efficacité des tactiques d'intimidation employées par les autorités et du rétrécissement continu de l'espace civique en Algérie.
La réponse du gouvernement : déni et justification
Face à ces allégations graves, la réponse du gouvernement algérien, telle que rapportée dans le document, oscille entre déni et justification. Les autorités qualifient les accusations de « vagues » et « non étayées », tout en affirmant que les poursuites judiciaires contre les défenseurs des droits humains sont fondées sur des infractions de droit commun et non sur leur coopération avec l'ONU. Cette posture défensive, couplée à l'absence de mesures concrètes pour enquêter sur les allégations de représailles, souligne le fossé grandissant entre les engagements internationaux de l'Algérie et ses pratiques internes.
Sophie K.
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