La réconciliation n’est pas le pardon !
Dans son long parcours pour la liberté et la paix, le peuple Algérien a dû faire face à des épreuves difficiles au cours des grandes étapes de son combat de l’époque coloniale pour la conquête des indépendances politiques, jusqu’à notre époque marquée par une décennie noire durant les années 90.
Aujourd’hui, en dépit de ceux qui considèrent que « la charte pour la paix et la réconciliation nationale » est une question de haute priorité nationale et que le chef de l’Etat a le pouvoir et le devoir d’en assumer le leadership, il est indéniable que tout le monde veut une réconciliation nationale et personne ou presque ne rejette sans aucune considération cette proposition. Il reste à nous accorder sur les conditions du déroulement du processus !
Ce projet rendu public, sans débat, moins de vingt-quatre heures seulement après le discours présidentiel, fut adopté par référendum le 29 Septembre 2005.
Néanmoins, les victimes des années 90 sont convaincues que sans justice nous accorderons une prime à l‘impunité. La réconciliation suppose la recherche d’une solution basée sur la Vérité et une Justice équitable afin d’apporter un soulagement certain à toutes les victimes.
La justice avant toute idée de réconciliation, peut paraître juste au plan de l’éthique politique et au plan moral ! Mais dès que l’on choisit de se réconcilier par le pardon, consciemment ou non on rentre dans une logique de l’acceptation de l’autre.
Aujourd’hui encore, le débat sur la réconciliation nationale est de mise un peu partout. Si en principe la charte pour la paix doit traduire notre volonté de rechercher une solution apaisée à notre « problème national » rejetant de ce fait les voies d’affrontements ; alors il faut éviter les démarches fondées sur la volonté d’imposer sa seule vision du contrat social recherché.
Le monde a besoin de paix par le pardon et la réconciliation. Mais comment continuer à vivre ensemble quand l'irréparable a été commis et, sinon nié, du moins contesté par son auteur ?
Deux logiques distinctes conditionnent cette justice de transition. Celle du pardon, un concept religieux et moral, et celle de la réconciliation, un concept politique et juridique.
Et qu’en est-il du bilan de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ?
Six ans après l’adoption de la loi sur la « Concorde civile » initiée par l'ancien président «Liamine Zeroual », et qui prévoyait déjà l’abandon définitif des poursuites judiciaires contre les islamistes qui déposeraient les armes et qui sont non coupables de crimes de sang, de viols et d'attentats à l'explosif dans les lieux publics. Plus de 6 000 islamistes descendent du maquis et regagnent leurs foyers. Cette loi fut critiquée aussi bien par les islamistes qui la considèrent comme insuffisante que leurs adversaires les plus résolus qui la trouvèrent plus laxistes. En l’occurrence, la mise en application de ladite « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » en 2006 s’est traduite par la libération de plus de 1 500 islamistes condamnés pour terrorisme. Autrement dit, et c’est là que réside la différence avec la loi sur la Concorde civile, les islamistes ayant commis des attentats individuels, sont libérables. En signe de protestation, en ce jour du référendum, plusieurs centaines de victimes de la Mitidja (Blida) ont enterré leurs cartes de vote près des tombes de leurs proches tués par le GIA.
La charte précise la mise en place d'une aide pour les veuves et les orphelins des membres des groupes armés tués. Et proposait aussi de reconnaître le droit à des réparations aux familles des disparu(e)s, dont l’État reconnaît l’existence, les prend en charge mais il n’est pas question de lui en faire endosser la responsabilité en mettant en place une amnistie complète pour les membres des forces de sécurité, suite aux abus des exactions délictueux qu'ils ont commis. Après adoption, toutes plaintes contre eux seraient considérées comme irrecevables !
Selon la coalition des victimes des années 90 : « le principal défaut de la charte est de fermer la porte à la clarification et aux procès judiciaires contre les auteurs des crimes et la violation des droits de l'homme. Ce manque de transparence empêche les familles d'identifier les responsables et de connaitre les circonstances des crimes commis sur leurs proches ».
Les textes de « la Charte pour la paix et la réconciliation nationale» ne comportent aucune obligation de vérité et de justice : le préjudice serait irréparable pour les familles de disparu(e)s dans la mesure où le projet de charte conduit à les priver définitivement de leur droit à la vérité et à réparation, les condamnant ainsi à vivre avec cette nécessité anxieuse et répétitive de connaître la vérité.
Réunis fin juillet 2018 à Genève, le Comité des droits de l’homme a encore réitéré « ses profondes préoccupations concernant l’article 45 de l’ordonnance n°06-01 du 27 février 2006, mettant en œuvre la Charte pour la paix et la réconciliation nationale en Algérie », indiquait un communiqué de l’ONU. Les autorités algériennes ont été ainsi invitées à s’assurer que l’article 45 n’entrave pas le droit à un recours effectif, notamment pour : « les graves violations des droits de l’homme telles que la torture, le meurtre, la disparition forcée et l’enlèvement ».
Mémoires et horizons d’attente :
Beaucoup de questions demeurent sans réponses :
-Pourquoi un tel référendum, alors que le président Bouteflika avait maintes fois déclaré que la Concorde civile était la dernière chance offerte aux « récalcitrants » pour désarmer ?
-Pourquoi une nouvelle loi sur la paix alors que les islamistes armés ne constituent plus une menace pour l’État algérien ?
-Pourquoi un tel scrutin alors que de l’aveu même du chef de l’État « la peur a disparu », « le calme est revenu » après « la concorde civile » ?
Outre le fait de prendre en otage la mémoire, en empêchant le devoir de vérité et de justice pour les victimes de ces années sanglantes, cette charte s’inscrit en réalité dans un cadre plus vaste visant au remodelage du champ politique et de l’organisation du pouvoir, et ce, à travers une révision constitutionnelle. Il est donc permis de penser que cette loi n’a pas uniquement pour but la paix !
Les Algériens attendaient plutôt des mesures audacieuses pour relancer la machine économique, l’emploi et le logement, une amélioration de la qualité de l’enseignement et de la vie sociale en général et de la justice en particulier.
Il y’a peu, les militaires retraités, les ex-militaires, les invalides et les ayants droit de l’Armée nationale populaire (ANP), ont tenté de marcher sur Alger, pour réclamer la satisfaction de leurs revendications, avant d’être bloqués par plusieurs dispositifs sécuritaires de la gendarmerie nationale.
De leur côté, des représentants de l’Etat déclarent que « La Charte pour la Paix et la réconciliation nationale constitue le point de départ des grandes réformes qu’a connues l’Algérie ». « A cette occasion, il sera installé un groupe de travail en charge de l’Etude scientifique de la Charte pour la Paix et la réconciliation nationale, plébiscité par le peuple algérien le 29 septembre 2005 » a annoncé le président de l’Association nationale des médiateurs (ANMJ), au Forum d’El Moudjahid le 19 Septembre 2018.
Une impunité au nom de la « réconciliation » !
L’adoption de cette charte pour la paix et la réconciliation nationale vise tout d’abord à réprimer toute contestation de l’Histoire officielle. Or, le droit international fait obligation aux États d’enquêter sur les violations des droits de l’Homme. La recherche de la vérité la plus complète est donc une obligation absolue et un droit inaliénable des victimes et de la société en général.
D’origine judiciaire ou administrative, le droit à la vérité a une portée individuelle et collective.
Les dispositions de ladite charte pour la paix, constituent une atteinte indéniable à la liberté d’opinion et d’expression de toutes les personnes qui souhaiteraient rétablir la vérité sur les faits qui ont conduit aux disparitions forcées et aux massacres collectifs et individuels tout au long des années 90.
Les défenseurs des droits de l’Homme soutiennent qu’il appartient évidemment au peuple algérien de débattre et de décider du mécanisme le plus satisfaisant à mettre en place pour régler la question des violations graves des droits de l’Homme ; ils tiennent cependant à rappeler que la paix et la réconciliation nationale ne seront réalisables que si cette page noire de l’Histoire récente de l’Algérie est lue avant d’être définitivement tournée.
L’appel officiel à tourner la page et le silence imposé avant et après le référendum refléteraient surtout la volonté délibérée du pouvoir d’oblitérer le conflit.
Par Lila MOKRI