Trente-cinq ans après les premiers craquements du régime en octobre 1988, la démocratie algérienne demeure fragile, l'autoritarisme n'est jamais loin. Mais dans la mémoire collective, «Octobre 88» demeure associé à l'éveil des consciences et à l'espoir de liberté d'un peuple.
C'est aux cris de «Pouvoir assassin !» que la colère a éclaté ce 5 octobre 1988. Depuis plusieurs jours, des rumeurs de manifestations circulaient sur les campus universitaires algérois. Ce jour-là, des milliers d'étudiants descendent dans la rue, rapidement rejoints par les lycéens. Le mouvement s'étend comme une traînée de poudre à d'autres villes du pays.
Brandissant des pancartes hostiles au régime, les manifestants dénoncent la corruption et l'arbitraire du parti unique au pouvoir depuis l'indépendance en 1962. Ils crient leur ras-le-bol face à la crise économique, aux pénuries alimentaires, au chômage qui mine l'avenir de la jeunesse. Liberté et dignité, voilà ce qu'exige cette génération née après l'indépendance, pour qui la Révolution est un lointain souvenir.
La réponse du pouvoir ne se fait pas attendre. Comme il fallait s'y attendre, elle est brutale. Le général Khaled Nezzar proclame l'état de siège et lâche l'armée dans les rues. Les rafales crépitent, le sang coule. On parle de centaines de morts. Le gouvernement algérien vient de signer son acte de décès politique.
Sous la pression de la rue, le président Chadli Bendjedid est contraint d'ouvrir le jeu politique. La nouvelle Constitution de 1989 acte la fin du parti unique et autorise le multipartisme. Une presse indépendante émerge.
Mais l'histoire algérienne est un éternel recommencement. Lors des premières élections pluralistes de 1991, le Front islamique du salut (FIS), profitant du mécontentement populaire, remporte une écrasante victoire. Son arrivée au pouvoir suscitant les craintes d'une dérive intégriste, l'armée interrompt le processus électoral en 1992, arrête les dirigeants du FIS et interdit le parti, plongeant le pays dans une sanglante guerre civile durant toute la décennie 1990 opposant l'armée aux groupes islamistes armés.
Trente-cinq ans après octobre 1988, le bilan apparaît donc en demi-teinte. Certes, malgré des reculs, des avancées notables ont été obtenues depuis 1988 : ouverture du régime, multipartisme, liberté de la presse... Mais de l'aveu même des démocrates algériens, certains acquis ont été remis en cause.
Le Hirak algérien, écho réprimé d'Octobre 1988
Trente ans après les émeutes d'Octobre 1988 qui avaient fait vaciller le régime algérien, un nouveau vent de contestation a soufflé sur le pays en 2019 avec le mouvement du Hirak. Mais cette mobilisation populaire massive réclamant liberté et démocratie s'est heurtée à la même logique répressive qu'en 1988, rappelant les espoirs déçus du printemps algérien.
En février 2019, l'annonce de la candidature du président Bouteflika à un cinquième mandat a fait office d'étincelle. Des millions d'Algériens sont descendus dans la rue lors de manifestations pacifiques pour exprimer leur ras-le-bol d'un système politique autoritaire sclérosé depuis l'indépendance en 1962. Un nouvel élan démocratique est né, faisant écho aux revendications de 1988.
Mais comme il y a trente ans, le régime algérien a opposé une fin de non-recevoir brutale à toute idée de changement. Malgré la démission obtenue de Bouteflika, la répression s'est abattue sur le Hirak. L'histoire bégaye de manière tragique.
En effet, sous la présidence d'Abdelmadjid Tebboune, élu en décembre 2019, les arrestations et condamnations se multiplient contre les voix dissidentes, dans un arsenal juridique de plus en plus liberticide.
Plusieurs partis politiques contestataires ont été visés par des poursuites judiciaires abusives, au nom de la lutte antiterroriste. C'est le cas du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ou du Parti socialiste des travailleurs (PST). Même sort pour le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), importante organisation de la société civile, dont les militants sont jetés en prison sur la base d'accusations montées de toutes pièces selon les défenseurs des droits humains.
La chasse aux opposants touche toutes les sphères de la société. Journalistes, avocats, étudiants... tous ceux soupçonnés de sympathie avec le Hirak sont étroitement surveillés et réprimés. Des centaines de personnes ont été arbitrairement arrêtées pour avoir pris part aux manifestations hebdomadaires du mouvement prodémocratie.
Trente ans après le soulèvement de 1988, l'Algérie vit ainsi un «5 octobre bis», la rue algérienne tentant une nouvelle fois de secouer l'immobilisme du régime. Mais la même logique autoritaire prévaut, prête à tout pour préserver le « système » en place.
Sophie K.
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