En Algérie, les feux de forêt alimentent encore les théories du complot. Alors que les incendies ont fait au moins trente-quatre morts dans le pays, pouvoir et militants s'accusent mutuellement de déclencher les feux en Kabylie. Le pouvoir, en arrêtant immédiatement une quinzaine de personnes, a laissé entendre que tout cela ne pouvait être que le fruit d'un complot ourdi par des forces tapies dans l'ombre, comme en 2021.
Il faut dire que cette obsession de la main invisible brûlant les forêts algériennes est aussi vielle que la crise politique qui secoue le pays. Cette paranoïa a connu son apogée le 11 août 2021, jour de l'assassinat d'un jeune volontaire, Djamel Bensmail, lynché et brûlé vif à Larabaa Nath Irathen, en Kabylie par une foule hystérisée par la découverte d'un soi-disant « pyromane ». Des médias pro-pouvoir ont même participé à cette désinformation en affirmant « l'arrestation par les forces de l'ordre du présumé pyromane ».
Ce grave incident, qui a failli tourner en confrontation ethnique entre berbérophones et arabophones, avait recentré le débat national autour de l'existence d'une conspiration prenant le pays pour cible, au travers d'incendies concentrés sur une région fortement singularisée.
Pour le pouvoir, c'était une tentative de déstabilisation dans laquelle deux groupes politiques, islamistes et séparatistes kabyles –classés terroristes–, auraient été instrumentalisés par des officines étrangères. L'implication de certains sympathisants du MAK dans le lynchage du jeune Djamel Bensmail en était, pour les partisans de cette thèse, la preuve irréfutable. Le mouvement séparatiste est soupçonné de vouloir, à tout prix, embraser le pays, dans le prolongement des événements qui secouaient l'Algérie depuis 2019, et dont la Kabylie constituait l'épicentre.
De leur côté, les dirigeants séparatistes et islamistes, s'appuyant sur des témoignages qui restent à certifier, y voyaient une mise en scène des services de sécurité algériens visant à terroriser une région réputée « rebelle ».
Les incendies de l'été 2023 sont visiblement moins dramatisés que les précédents, sans doute parce qu'il y a moins de victimes, mais aussi parce que le contexte politique est différent. Du coup, les théories du complot ont vite fait long feu. D'un côté, les autorités ne veulent pas en rajouter après l'annonce de l'arrestation de quelques « suspects »; de l'autre, des militants de l'opposition s'en démarquent totalement.
Seuls quelques caricaturistes, comme Dilem ou Ghilas Aïnouche, tentent à leur tour de nourrir une certaine paranoïa à ce sujet. Mais les gens semblent beaucoup moins sensibles aux discours alarmistes, comme l'atteste le ton des commentaires sous leurs publications.
Le chef de file du mouvement séparatiste MAK, Ferhat Mehenni, contraint à l'exile, a tempéré son discours dans une déclaration à un journal marocain: « Cette année, même le MAK ne peut être invoqué puisque ses militants sont en prison! ».
Le mouvement séparatiste, s'est contenté d'appeler, à travers une organisation appelée « la Ligue kabyle des droits de l'homme », à un rassemblement le 30 juillet dernier, à Paris, pour exprimer sa solidarité envers «les populations kabyles touchées par ces tragédies» et se mobiliser pour «mettre fin à cette série d'incendies meurtriers». Mais l'événement n'a pas drainé les foules.
Le torchon brûle par ailleurs encore entre l'agence officielle Algérie Presse Service (APS) et la chaîne de télévision française France 24.
Dans un éditorial incendiaire publié le 27 juillet, l'agence algérienne qualifiait le média français de «chaîne poubelle», «grossière, vulgaire, honteuse», après que ce dernier a évoqué les incendies touchant le pays et dénoncé les défaillances étatiques.
L'APS prend ainsi la défense des autorités, tout en niant, incidemment, la thèse complotiste: «Les violents incendies qui ont frappé l'Algérie en cet été ont été favorisés par des températures extrêmes et des vents violents propices à une propagation rapide des flammes. Que cette chaîne du mal, du chaos et de la manipulation cesse ses grossiers mensonges sur l'Algérie qui a déployé tous les moyens matériels et humains pour éteindre les incendies.»
Réagissant à cette attaque, la direction de France 24 s'est contentée de répondre le 28 juillet qu'«il y a des incendies dans tout le bassin méditerranéen, que France 24 couvre sans exclusive et tout particulièrement grâce à ses correspondants, en Grèce et en Sicile ces derniers jours. Les incendies en Algérie ne sont aucunement couverts plus spécifiquement.»
Il faut rappeler que cette chaîne est interdite en Algérie depuis le 13 juin 2021. Cet échange ne fait qu'aggraver les tensions entre Alger et Paris, dans un contexte politique régional des plus brûlants.
La rédaction
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