Trois ans après l’élimination de Mohamed Khider à Madrid, dans des circonstances douteuses, c’est au tour du signataire des Accords d'Evian, Krim Belkacem, d’être assassiné à Francfort dans une chambre de « l’Hotel Intercontinental », le 18 Octobre 1970.
Terrible sort pour celui qu’on surnommait « le lion des djébels »
Des montagnes du Djurdjura, en Algerie, à celle du Jura, à la frontière Franco-Suisse, Krim Belkacem a prouvé au monde entier que l’art de la guerre ne possédait aucun secret pour lui.
Un des porte-parole de la délégation algérienne aux accords d’Evian, Reda Malek, affirme: « Lors des négociations d’Evian, la signature des accords était tout le temps reportée. Pierre Joxe a alors poussé les documents vers Krim Belkacem, et pour la première fois j’ai vu de l’hésitation et de l’émotion chez lui. Il nous a regardés un par un, je lui ai souri, on a acquiescé l’un après l’autre pour lui signifier notre accord, alors il a signé ».
Lakhdar Bouragaa, estime que l’assassinat de Krim constitue une tâche noire dans l’histoire de l’Algerie, par ce que c’est Krim Belkacem lui-même qui a signé l’acte de naissance de la nation algérienne.
Il se rappelle ensuite qu’en 1967, Krim Belkacem reprendra contact avec Amar Ouamrane, Slimane Amirat, Mohand Oulhadj et Mourad Tarbouche pour créer le Mouvement pour La Défense de la révolution Algérienne.
Cela démontre la volonté solide de l’ancien combattant, chef de l’ALN d’en découdre avec ce régime spoliateur qu’il méprisait au plus haut point.
La sécurité militaire s’acharne farouchement sur tous ceux qui apparaissaient comme sympathisants politiques avec Krim Belkacem, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Pour Houari Boumediene, Krim Belkacem est un homme à éliminer, car il dénonçait ouvertement la légitimité de son régime.
Dans l’entourage de la famille proche d’Ouamrane, il se raconte qu’en apprenant l’assassinat de Krim Belkacem, révolté et en colère, le colonel Ouamrane n’hésitera pas à s’aventurer dans les bureaux du président Boumediene pour lui imputer carrément la responsabilité de ce crime: « Vous l’avez tué, pourquoi ? », bien calé dans son fauteuil, le regard perdu dans la fumée de son cigare comme pour bien mesurer la portée tranchante de sa réplique, laissant l’ancien colonel de l’intérieur et vieux compagnon de Krim, fulminer sa colère et vider à fond son sac, et reprenant d’un geste indolent l’adoration mythique de son cigare, Boumediene s’étala alors dans les termes d’une bien satanique confession: « Au fai, je pense que votre Krim a eu une meilleure mort que celle de Abbane, jeté dans un ravin au Maroc, alors que lui, dans un hôtel en Allemagne, d’autant plus International ».
Lakhdar Bouragaa a été condamné pour complot visant l’assassinat du président Boumediene dont l’instigateur serait Krim Belkacem sur la simple base d’une photo des deux hommes prise dans un café à Paris !
Arrêté, Lakhdar Bouragaa allait subir les pires sévices physiques infligés par la Sécurité Militaire.
Il raconte la torture qu’il a subie des années durant: « J’ai été accusé d’appartenir au mouvement de Krim Belkacem et d’avoir participé au plan visant l’assassinat de Boumediene. On m’avait arrêté et jeté dans une cellule comme un malpropre avec des rats, à l’ombre durant une année, j’ai subi toutes sortes d’humiliations. J’ai été frappé avec des bâtons, on m’a piétiné, j’ai subi la gégène sur les parties les plus sensibles, j’ai été aspergé d’eaux usées, suspendu par les poignets. Mes tortionnaires éteignaient même leurs cigarettes sur mes blessures de guerre. Ils avaient du mépris pour les révolutionnaires ».
Bouragaa est l’une des victimes des sévices physiques infligés par le système de l’armée des frontières connu communément sous l’appellation du « Clan d’Oujda », à l’origine de la confiscation de l’indépendance.
Il était accusé d’atteinte à la sécurité de l’Etat, de complot contre le président Boumediene avec Krim Belkacem et de tentative de coup d’Etat avec Tahar Zbiri.
Les mots semblent perdre de leur sens quand il s’agit de décrire ce que des combattants de l’ALN ont subi dans les geôles de l’Algerie indépendante.
Bernard Golay, l’ami Suisse de Krim, revient sur l’assassinat de ce dernier: « Je reçois un coup de téléphone de Yves Courriere qui me demande où est Krim? Je lui réponds qu’il est à Francfort et j’entends Yves s’écrire “Ah, les salauds” il me dit avoir appris par un communiqué de presse que le corps d’un homme non identifié -car aucun papier n’a été trouvé sur lui- a été découvert dans une chambre de l’hôtel Intercontinental. Le médecin constate que l’homme a été anesthésié et étranglé avec sa ceinture et une cravate. »
Encore une fois les circonstances de cette figure d’opposition ne laissent pas l’ombre d’un doute sur les motifs de cet assassinat.
L’élimination méthodique des opposants avait été amorcée et nul ne pouvait freiner la mécanique meurtrière mise en marche.
La fin tragique de Krim Belkacem porte la signature de Houari Boumediene.
Selon Hocine Ait Ahmed : « Des tueurs à gage de la sinistre police politique de Boumediene ont exécuté la sale besogne, l’assassinat de Krim Belkacem, le 18 Octobre 1970 [.....] Le coupable porte un nom: le commandant Hmida Aït Mesbah, chef du service opérationnel de la SM ».
L’ancien secrétaire général du Mouvement Démocratique pour le Renouveau Algérien (MDRA) à l’ouverture politique, aujourd’hui président de l’Association des Amis de Krim Belkacem, Mohamed Maïz, ira plus loin: « L’assassinat de Krim Belkacem en Allemagne fédérale n’à été possible que grâce à la conjonction et la complicité de plusieurs services, certains Passifs, d’autres Actifs, et la collaboration de plusieurs personnes parmi les plus insoupçonnables. Passons sur la complicité des proches, sur les détails qui ont précédé le RDV fatal du 18 Octobre 1970. Il y’a eu le concours des services Marocains qui ont donné l’itinéraire, le pseudonyme de Krim Belkacem, alias Mohamed Maâmeri ».
Sûr de lui sur le sol Allemand, le signataire des Accords d’Evian avait décliné la protection de la police, il ne craignait pas pour sa vie, car il allait rencontrer des émissaires de president Boumediene et que cela ne passerait pas inaperçu !
« Krim avait demandé aux autorités françaises de pouvoir rencontrer les émissaires de Boumediene à Paris et le gouvernement Pompidou avait catégoriquement refusé. Pourquoi ce refus ? Les services français, qui ont d’étroites relations avec les services algériens, savaient-ils quelque chose ? Apprenant ce refus d’entrée de Krim en France, Robert Buron, un des négociateurs et signataires des Accords D’Evian, a écrit une lettre au président français Pompidou, lui demandant des explications, il n’a jamais eu de réponse », témoigne encore Mohamed Maïz.
« J’ai eu à poser la question à Kasdi Merbah en présence de Slimane Amirat sur la responsabilité des services algériens dans l’assassinat de Krim, et sa réponse a été: Ce ne sont pas mes services qui ont assassinés Krim et il arrivera le moment ou je dévoilerai les noms des assassins et des commanditaires », poursuit le président de l’association des amis de Krim Belkacem.
Pour rappel: La cour révolutionnaire condamné à mort Krim Belkacem. Telle a été l’annonce faite par le journal « El Moudjahid » à l’ouverture du procès de Krim Belkacem et les militants du MDRA en date du 24 mars 1969.
« Il est du devoir de chaque citoyen algérien d’etre l’auxiliaire de la justice en exécutant la sentence en tout lieu et en tout moment ».
Tel est le verdict rendu par la cour Révolutionnaire d’Oran lors du procès contre Krim Belkacem et une cinquantaine de militants du MDRA.
Cette instance est présidée par le commandant Abdelghani, membre du conseil de la révolution et chef de la 5ème région militaire, et composée du commandant El-Hachemi Hadjres et de Fardheb Boumediene, conseillers assesseurs et des capitaines Seddik Mediouni, Abdelhamid Latreche, Mohamed Benmoussa, Hocine Hamel, Athmane Bouziane, Mekhlouf Dib et Mabrouk Adda.
En plus de Krim, sont également condamnés à mort trois de ses compagnons: Slimane Amirat, Tansaout et Tarbouche Mourad.
Ces deux derniers seront assassinés: le premier à Paris en 1970. Le second en Tunisie en 1972.
Le reste des militants se verront condamnés à des peines allant de 5 à 20 ans de prison ferme.
Une injure au parcours historique de tous ces hommes
Le régime Boumediene ne s’est pas contenté de tuer Krim Belkacem. Il a banni son nom de l’histoire officielle, à tel point que sa vie semble s’être arrêté aux Accords d’Evian.
Dans son livre « Krim Belkacem », Khalfa Mameri atteste que « Même à l’école où Krim avait fait ses études, son nom ne s’y trouvait plus ».
Source:
•« Algérie: Procès d’un système militaire » du journaliste et Ecrivain Kamel Lakhdar Chaouche,
•FERHAT Abbas: « L’autopsie d’une guerre » Éditions Garnier, 1980,
•Le quotidien L’expression du 14 Août 2012
•Hocine Ait Ahmed: « L’affaire Mecili »La découverte 1989
•Khalfa Mameri: « Krim Belkacem », Éditions El Amel, 2016.
La rédaction
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