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Jacques Ferrandez : “En Algérie, l’islamisme s’est infiltré dans toutes les couches sociales”

Dans un entretien accordé à "L'Obs", l’auteur et illustrateur de BD Jacques Ferrandez, déclare être "frappé de voir que depuis le début des années 2000, l’islamisme s’est infiltré dans toutes les couches de la société."


L’histoire de l’Algérie ne s’est bien sûr pas arrêtée en 1962. Ce qui s’est passé dans ce pays après l’indépendance est peu connu, selon Jacques Ferrandez. Elle a été racontée de façon très officielle, en éliminant tout ce qui pouvait être gênant, en mettant la poussière sous le tapis. Elle s’est réveillée avec l’émergence du terrorisme en Algérie.

L'illustrateur de BD, affirme qu'Il (l'islamisme) ne s’exprime plus de façon violente, mais sous la forme d’une pression sociale et familiale. "Je ne parle pas seulement du port du voile qui s’est banalisé, mais tout simplement de la possibilité de boire une bière en terrasse par exemple."


Jacques Ferrandez, évoque aussi le Salon international du Livre d’Alger (SILA), en affirmant que le pavillon des livres religieux faisait le plein chaque année. Cela donnait une idée du marché du livre en Algérie et de ce que les gens lisent.


"Les religieux imposent de façon diffuse des règles sur la façon de s’habiller et de se comporter. Il y a des stratégies de contournement certes, mais cette islamisation rampante, qui n’existait pas dans les années 1980, est visible dans l’espace public."


Selon l'auteur et illustrateur de BD, "Les islamistes ont, d’une certaine manière, gagné". Cette victoire est préoccupante, surtout pour ceux qui ont vécu la période de la « décennie noire ».


Dans l'entretien,  Jacques Ferrandez évoque le règne de l'ancien président Abdelaziz Bouteflika, qui, selon lui "a ramené la paix avec la loi de concorde civile et le principe de l’amnistie pour les islamistes qui déposeraient les armes à la condition qu’ils n’aient pas commis de crimes de sang. Mais en choisissant l’oubli et le silence, le pouvoir s’expose à ce que rejaillisse cette violence."


Il explique avoir "le sentiment que la barbarie qui s’est abattue dans les années 1990 sur les Algériens, avec ces villages massacrés et ces femmes éventrées, venait de nulle part. Or il suffit de regarder ce qui s’était passé pendant la guerre d’Algérie, à l’intérieur des familles et des villages algériens, entre ceux qui étaient instruits et ce qui ne l’étaient pas, entre les urbains et les ruraux, entre les Arabes et les Berbères, entre les harkis et leurs compatriotes, pour constater que ce n’était pas le cas. Les clivages qui se sont exprimés pendant la guerre d’indépendance ont rejailli d’autant plus fortement que rien n’avait été jugé, ni purgé".



L’obsessionnelle question « Qui tue qui ? » qui renvoyait dos à dos islamistes et régime militaire à propos des massacres de civils lui rappelle les luttes fratricides entre les deux factions rivales, le Front de Libération nationale (FLN) et le Mouvement national algérien (MNA), pendant la guerre d’Algérie.



Il affirme que "la violence ne remonte pas à la colonisation et à ce qui s’est passé pendant la guerre d’Algérie. Pendant la période ottomane, le dey d’Alger faisait régner avec ses janissaires la loi et l’ordre sur les populations soumises à l’impôt."


Comme, il le fait dire à son personnage de l’écrivain, inspiré par son ami Rachid Mimouni [auteur algérien, décédé en 1995], "la conquête arabe ne s’est pas déroulée avec des pétales de rose, du lait et du miel. La Kahena, cette princesse berbère qui résista à la conquête musulmane, a été exécutée, sa tête envoyée en trophée au calife omeyyade Abd al-Malik à Damas. A chaque fois, une puissance autochtone ou étrangère met le pays en coupes réglées. Et ceux qui arrivent par la suite se servent des frustrations et des velléités de vengeance de ceux qui ont eu à souffrir des oppresseurs précédents."


Né en 1955 en Algérie, dans le quartier de Belcourt, où Albert Camus a passé toute son enfance et son adolescence, l'auteur de BD, Jacques Ferrandez, d'origine Niçoise, consacre depuis plus de trente ans une large partie de son œuvre à son pays natal "l'Algerie". Le second tome de ses « Suites algériennes » vient de sortir.

Les dix épisodes de ses « Carnets d’Orient » et « Carnets d’Algérie » qui racontent, à travers une galerie de personnages français et algériens dont les destins se croisent, l’histoire du pays de 1830 à 1962, sont une référence. Il a adapté plusieurs livres d’Albert Camus (« l’Etranger », « l’Hôte », « le Premier Homme »).


Dans le second et dernier volume des « Suites algériennes » (Casterman) qui vient de sortir, il met en lumière la complexité de cette Algérie post-indépendance. Mêlant souvenirs personnels romancés et travail documentaire, le récit choral raconte, en douze chapitres et douze personnages, l’évolution tumultueuse du pays depuis 1962.


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