
La condamnation du lanceur d'alerte algérien Noureddine Tounsi à deux ans de prison ferme sonne comme un nouveau coup de semonce contre les voix dissidentes dans le pays. Alors que les restrictions des libertés fondamentales se multiplient en Algérie, le cas de M. Tounsi illustre la répression qui s'abat sur ceux qui osent dénoncer la corruption du régime.
Dans un contexte de restrictions croissantes des libertés en Algérie, le tribunal de Bir Mourad Raïs à Alger a condamné ce mercredi le lanceur d'alerte Noureddine Tounsi à 2 ans de prison ferme et une amende. Cette décision est intervenue à l'issue du procès de «l'affaire Algérie Part», du nom d'un site d'information dirigé depuis la France par le journaliste Abderrahmane Semmar.
Arrêté arbitrairement en février dernier, M. Tounsi était accusé d'avoir collaboré avec ce média en ligne. Bien qu'ayant déjà purgé une peine pour ces mêmes faits en 2020, ce militant anticorruption écope aujourd'hui de 2 ans ferme, contre 8 requis par le procureur.
Révélations sur des affaires de corruption
Figure de proue de la lutte anti-corruption en Algérie, Noureddine Tounsi s'est fait connaître en 2018 après avoir dévoilé au grand jour un important trafic de 700 kg de cocaïne au port d'Oran. Ancien cadre de l'Entreprise portuaire, ce lanceur d'alerte et défenseur des droits humains membre de la LADDH, collaborant avec la PPLAAF, paye selon ses défenseurs son engagement pour dénoncer la corruption gangrénant les hautes sphères de l'État algérien.
«C'est un procès politique visant à réduire au silence des voix gênantes pour le pouvoir », dénonce un avocat du collectif de défense de M. Tounsi. Il souligne par ailleurs le contraste frappant entre la lourde peine de prison ferme infligée au lanceur d'alerte et celle, beaucoup plus clémente, dont a écopé le principal accusé dans cette affaire.
Lourdes réquisitions du parquet
Lors du procès fin octobre, le ministère public avait requis des peines allant jusqu'à 15 ans de prison contre les 16 accusés. Huit ans ferme avaient été demandés contre les 10 prévenus déjà incarcérés dont Noureddine Tounsi, 5 ans contre les 5 accusés libres, et 15 ans par contumace contre le directeur d'Algérie Part.
Présomption d'innocence bafouée
Travaillant pour la majorité dans des entreprises publiques, les accusés avaient été appréhendés par les forces de l'ordre fin 2022 avant d'être diffamés dans des reportages télévisés, sans respect du principe de présomption d'innocence. Ils ont été qualifiés de « traitres » et accusés de «vouloir porter atteinte aux institutions de l’Etat», dénoncent alors leursavocats. Ceux-ci estiment également que les faits reprochés, notamment des échanges d'informations publiques, sont antérieurs à la promulgation de l'ordonnance algérienne sur le secret-défense.
Dénonciations unanimes
Le cas du militant algérien Noureddine Tounsi illustre le climat de répression croissant qui s'abat sur les voix dissidentes en Algérie. En juin dernier, l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains avait exprimé sa vive inquiétude face à la détérioration de l'état de santé de M. Tounsi, alors en grève de la faim.
L'Observatoire, partenariat de la FIDH et de l'OMCT, avait dénoncé sa « détention arbitraire »ne visant qu'à « le sanctionner pour l'exercice de ses activités légitimes de défense des droits humains ». En première ligne dans la lutte contre la corruption des élites algériennes, M. Tounsi paye aujourd'hui son engagement pour la transparence.
Malgré les appels pressants à sa libération, M. Tounsi vient d'être condamné à deux ans de prison ferme par la justice algérienne, qui l'accusait notamment de « diffusion d'informations classées secret-défense ». Ses avocats crient au « procès politique » tandis que les ONG s'alarment du « harcèlement judiciaire » des militants et de la répression croissante des libertés fondamentales.
L'Observatoire avait exhorté les autorités à « garantir l'intégrité physique et le bien-être psychologique » de M. Tounsi, ainsi que son « droit à un procès équitable ». En vain.
Son récent procès « expéditif » selon ses défenseurs, suivi de cette lourde condamnation, montrent combien le régime algérien cherche à bâillonner toute voix discordante.
L'Observatoire appelait également à « mettre fin au harcèlement des défenseurs des droits humains » et à garantir le « droit à la liberté d'expression ». Des requêtes restées lettre morte, comme en atteste la récente condamnation de M. Tounsi. Un militant dérangeant qui paye le prix fort de son engagement pour la transparence et la démocratie en Algérie.
Sophie K.