Neuf mois après sa condamnation en première instance, la Cour d’appel de Rabat a confirmé, lundi, la peine de prison prononcée à l’encontre de l’avocat, ancien bâtonnier et ex-ministre des droits de l’Homme Mohammed Ziane.
L’opposant marocain, ex-bâtonnier de Rabat et ministre des Droits de l’Homme entre 1995 et 1996, a été arrêté et incarcéré lundi soir après avoir été condamné en appel à trois ans de prison ferme, sur la base d'une requête du Parquet général dans le cadre des articles 392 et 414 du Code de procédure pénale, indique un communiqué du Procureur général du roi près la Cour d'appel de Rabat.
Mohammed Ziane s’estime « jugé à cause de ses opinions »:
« Il a été transféré à la prison d’El Arjat. Il n’a même pas été notifié légalement (de sa condamnation) et il n’a pas jamais comparu », a fustigé Ali Reda Ziane, lui-même avocat et qui assure la défense de son père. « Il a été condamné (par la Cour d’appel de Rabat) pour toutes les charges possibles et imaginables ».
Le parquet a ensuite confirmé que « les services de la police judiciaire compétente, et sur instruction du Ministère public, ont arrêté l’intéressé et l’ont incarcéré en exécution des dispositions de la décision d’appel ».
Mohammed Ziane, 79 ans et qui a été reconnu coupable de plusieurs chefs d’accusation, était poursuivi jusque-là en état de liberté provisoire.
Il a été accusé, entre autres, de « délits d'outrage à des fonctionnaires de la justice et à des fonctionnaires publics lors de l'exercice de leurs fonctions par la profération de paroles et de menaces portant atteinte à leur honneur et au respect dû à l'autorité qu'ils représentent», «outrage à corps constitué» et «propagation d'allégations visant à influencer le cours de la justice avant la publication d'un jugement qui n'est susceptible d'aucun recours et dénigrement de décisions de la justice».
Son fils a dénoncé « un engrenage contre [s]on père depuis qu’il a pris position en faveur du "Hirak" du Rif », puissant mouvement social qui a agité cette région montagneuse berbère en 2016-2017.
Avocat célèbre, Mohammed Ziane, a également défendu Taoufik Bouachrine, un patron de presse d’opposition emprisonné depuis 2018 après avoir écopé de 15 ans de prison pour des « agressions sexuelles » contre huit femmes, des accusations qu’il a toujours niées en dénonçant « un procès politique ».
Le Comité marocain de soutien aux détenus d’opinion s’est pour sa part dit « extrêmement choqué ». « Son procès en appel s’est tenu lors d’une seule audience, sans donner au bâtonnier Ziane l’occasion de se défendre », a critiqué ce collectif de défenseurs des droits humains. « Il a été arrêté par plus d’une vingtaine de policiers en civil qui ont fait irruption dans son bureau (…), sans présenter la moindre décision judiciaire, ce qui constitue une violation flagrante du code de procédure pénale, de la Constitution et des conventions internationales ».
Mais avant Mohammed Ziane, d’autres ministres ont déjà été incarcérés au Maroc, bien que l’histoire moderne du royaume n’ait pas vu beaucoup de condamnations de responsables gouvernementaux. L’histoire retient ainsi une première arrestation de six ministres sous le règne du roi Hassan II et une seule sous le règne du roi Mohammed VI.
Ainsi, au début des années 70, le roi Hassan II envoie le général Mohamed Medbouh aux États-Unis, qui apprend lors de sa visite que de hauts responsables marocains, dont des ministres, auraient exigé de la société américaine Pan Am de leur verser des pots-de-vin.
En retour, ils auraient promis à l’entreprise de lui permettre de réaliser un grand projet de complexe touristique sis la place de la Ligue arabe à Casablanca.
Les détails de l'incident, rapportés par le chercheur Abdelhay Bennis dans « L'encyclopédie des gouvernements marocains 1955/2016 », indiquent que Mohamed Medbouh en a informé le Roi.
Le souverain aurait initialement donné l'ordre de ne pas poursuivre les suspects. Toutefois, après la tentative de coup d'État du 9 juillet 1971 à Skhirate, le monarque décide de rouvrir le dossier.
Les personnes impliquées, qui ont nié toutes les charges retenues contre elles, ont été arrêtées et la justice a décidé de les poursuivre en cas d'arrestation.
Les accusés sont Abdelhamid Karim, ministre du tourisme, Mohamed Jaidi (Commerce et industrie), Mamoun Tahiri et Abdelkrim Lazrak (Finances) et Yahya Chefchaouni et Mohamed Imani, respectivement ex-ministre des Travaux publics et secrétaire d’Etat aux Travaux publics et au transport, en plus d'un certain nombre de hauts fonctionnaires.
Les audiences du procès commencent le 11 octobre 1972 alors que les verdicts seront prononcés le 15 décembre de la même année.
Finalement, Yahya Chefchaouni est condamné à 12 ans et une amende de 10 000 dirhams, contre 10 ans et une amende de 10 000 dirhams pour Mamoun Tahiri et 8 ans et une amende de 5 000 dirhams pour Mohamed Jaidi.
Le tribunal condamne aussi Mohamed Imani pour corruption, mais il sera libéré car son affaire a été commise avant 1965. Abdelkrim Lazrak sera, quant à lui, acquitté.
Après avoir passé une courte période à la prison de Laalou de Rabat, le dossier sera finalement classé et les ministres, libérés, rentrent chez eux.
En 2009, la Cour des comptes sort un rapport épinglant la gestion du Crédit immobilier et hôtelier (CIH), banque publique marocaine dirigée jusque-lors par Khalid Alioua. Ancien membre de l’Union socialiste des forces populaires (USFP).
Ce docteur en sociologie politique était porte-parole du gouvernement d’alternance et ministre du Développement social, de la Solidarité, de l’Emploi et de la Formation professionnelle (1998-2000). De 2002 à 2004, il occupe aussi le poste de ministre de l’Enseignement supérieur avant d’être nommé patron du CIH.
Trois ans après ledit rapport, Khalid Alioua est poursuivi pour détournement de fonds publics et abus de pouvoir. Son dossier est d’abord renvoyé devant la justice en février 2012, avant d’être empêché de quitter le territoire national un mois plus tard. Son arrestation aura lieu en juin 2012. Alors que sa défense était dirigée par Driss Lachgar, actuel Premier secrétaire du parti de la Rose, sa formation politique tente du lobbying pour le libérer avant de baisser les bras et abandonner l'idée.
En mars 2013, l’ancien ministre est toutefois autorisé à quitter la prison d’Oukacha à Casablanca, le temps d’assister aux funérailles de sa mère. Il ne remettra plus les pieds en prison depuis cette date, bien qu'il n'ait été libéré qu'avec un permis de seulement 4 jours.
La Rédaction