Gaza et la Cisjordanie sont actuellement victimes d'une agression brutale de la part des forces Israéliennes, ce qui met en lumière la question Palestinienne et rappelle les réalités cruelles de la colonisation. Parmi les résistants historiques, Mohamed Boudia, le révolutionnaire algérien, s'était engagé en faveur des palestiniens dans les années soixante-dix et était devenu une figure emblématique de cette lutte.
Afin de raviver la mémoire de Mohamed Boudia, ce penseur révolutionnaire, artiste de la scène, écrivain et journaliste, le livre intitulé "Écrits politiques, théâtre, poésie et nouvelles", édité par PMN (Premiers Matins de Novembre) en 2017 à Toulouse grâce aux efforts d'un collectif engagé, se présente comme l'unique publication fidèle qui trace en détail le parcours de cet internationaliste militant, comprenant ses écrits politiques, ses poèmes, ses deux pièces de théâtre et ses nouvelles.
Au fil de la lecture, l’on s’aperçoit qu’un martyr qui a légué des écrits littéraires et politiques ne meurt pas et s’invite de plein droit au-delà du souvenir historique, dans les discussions contemporaines car les préoccupations et les inquiétudes de Mohamed BOUDIA de la fin des années cinquante aux années soixante-dix demeurent d’actualité dans l’Algérie indépendante et dans le monde.
Ce livre a le triple mérite en premier lieu de déterrer l’Homme Mohamed BOUDIA que l’historiographie officielle de l’Algérie indépendante a ignoré et effacé comme s’il s’agissait d’un enfant illégitime issu d’une révolution avortée ensuite de regrouper le gros de son œuvre, ses écrits politiques, ses pièces de théâtre, sa poésie, ses nouvelles et fondamentalement de retracer le parcours d’une pensée révolutionnaire à travers une fine analyse littéraire et politique.
Ce livre ne constitue nullement une hagiographie dans le sens élogieux d’un homme fusse-il exceptionnel mais il pose les premiers jalons d’une biographie politique de Boudia que les hommes de théâtre devront adapter les pièces, les étudiants étudieront les nouvelles et les historiens rouvriront les chapitres des étés 1962 et 65 ainsi que septembre noir de 1970 sans occulter la question de la culture populaire et révolutionnaire.
Au matin du 28 juin 1973 à Paris au 5° arrondissement de la rue des Faussées Saint Bernard, en sortant de chez lui, Mohamed BOUDIA se fait déchiqueter par une bombe placée sous le siège de sa voiture une Renault 16 par le Mossad israélien.
Quarante et un ans plutôt, sur les hauteurs de la Casbah d'Alger au quartier de Soustara naquit Mohamed le 24 février 1932. Après, la scolarisation et l’obtention du CEP (Certificat d’études primaires), Mohamed comme tous les enfants du peuple exercera plusieurs métiers et misères comme vendeur de journaux et cireur avant de travailler comme apprenti tailleur chez un juif.
Mohamed vola son salaire à ce dernier qui avait refusé de le payer. Cette action lui vaudra alors, le centre d’observation pour délinquants mineurs de Bir Khadem où il rencontra Omar Soustara auprès duquel il apprendra la mentalité, les gestes et les codes d’honneur du milieu de la « Redjla » et du « Hozzi ».
C’est la première strate de politisation de Mohamed par le réel !
Mohamed BOUDIA n’a vécu que quarante et un ans mais il faut savoir que ces années de la révolution sont à multiplier par trois ou quatre par tant d’expériences et c’est comme s’il a vécu plus de cent ans.
A sa sortie du centre d’observation, BOUDIA croise le chemin de Mustapha GHARBI résidant au théâtre des trois baudets de la rue Mogador-Alger. Nous sommes en 1947, Mohamed a tout juste 15 ans lorsqu’il commence sa vie théâtrale qui sera au centre de sa formation, de sa prise de conscience et de toutes ses connaissances avec lesquelles il bâtira ses réseaux de luttes et d’entraides à Alger d’abord et ensuite en Europe et au proche Orient.
En 1950, il part à Dijon pour le service militaire et en 1951 il participe en Allemagne aux rencontres européennes de la jeunesse où il fera connaissance de Jean-Marie BOËGLIN futur membre de l’équipe du TNA d’Alger.
En 1954, Boudia est à Paris, il a vingt-deux ans, il fait du théâtre mais il ne tarde pas à rejoindre le FLN, fédération de France où il a une fonction dans les groupes d’action en 1956.
En 1958, Boudia participe à un attentat à Marseille qui fait exploser un dépôt de carburant. Arrêté par la police française, Boudia est jugé entre janvier et mai 1960. Il risque la peine de mort.
Il accepte d’être défendu par les avocats du FLN à savoir maître Jacques Verges et Mourad Oussedik qui prônent la défense de rupture contre celle dite de connivence pour porter la cause algérienne devant les tribunaux et l’opinion internationale. Boudia accepte cette méthode au risque d’aller à l’échafaud. Sa tête est sauvée, il est condamné à vingt ans de prison aux Baumettes.
En prison, Mohamed s’organise et monte une troupe théâtrale et adapte entre autres « Le malade imaginaire » de Molière en arabe darija et se produit devant les prisonniers.
C’est en prison qu’il écrit ses deux pièces de théâtre « Naissances » et « L’olivier ».
Au cours d’un transfert en 1961 des prisons de Fresnes vers Angers, Mohamed organise son évasion avec l’aide des réseaux des porteurs de valises comme Jeanson et Curiel. Il s’évade pour se réfugier en Belgique puis il passe en Suisse pour enfin rejoindre la troupe artistique du FLN à Tunis où il côtoie entre autres Mustapha Kateb, Mohamed Zinet, les frères Rais.
A l’indépendance, il rejoint directement le théâtre d’Alger où il regroupe toutes les structures d’Algérie au sein du TNA (Théâtre national algérien) dont il devient l’administrateur général avec Mustapha Kateb comme directeur et Jean-Marie BOËGLIN en tant que conseiller technique.
Quant à Mourad Bourboune, il est nommé Haut-Commissaire de la culture et rédacteur en chef d’El Moudjahid.
Mohamed ne perd pas une minute, il lance un train culturel en sillonnant les villes algériennes en se produisant dans les théâtres et les salles devant des milliers de spectateurs.
Boudia est partout, il écrit dans El Moudjahid, il polémique avec Mostefa Lacheraf, il débat avec BACHIR Hadj Ali, il fonde la revue « Novembre » avec Jean Senac, il crée un autre journal « Alger, ce soir » avec Serge Michel, qui obtient un prix international à Prague et participe à la création de l’union des écrivains avec Mourad Bourboune.
Mais sa grande réalisation culturelle qui demeure jusqu’à nos jours, qui a formé et qui continue à former des générations de comédiens et de réalisateurs est l’école d’art dramatique qu’il a fondé en 1964 à Staoueli puis déménagée à Bordj El Kiffane.
Tout ce travail culturel et cet élan révolutionnaire post indépendance fut brutalement interrompu par le colonel Houari Boumediene lors du coup d’Etat du 19 juin 1965.
S’ensuit, alors une vague de harcèlements, de poursuites et de bâillonnement de toute voix opposée.
Le 25 juillet est créé l’ORP (Organisation de résistance populaire) pour contrer le coup d’Etat qui regroupe les anciens communistes et les militants de gauche FLN, avec Hocine Zehouane, Bachir Hadj Ali, Mohamed Harbi et William Sportisse entre autres.
La junte militaire frappa fort, les emprisonnements se comptaient par dizaines. Mohamed BOUDIA part en exil à Paris et lance une campagne internationale pour la libération des prisonniers politiques en Algérie.
L’ORP se disloque : Les militants communistes créent le PAGS (Parti d’avant-garde socialiste) et BOUDIA crée le RUR (Rassemblement unitaire révolutionnaire) et prône la lutte armée. Quant au PAGS, il choisit la semi clandestinité.
A Paris, BOUDIA actionne de nouveau ses réseaux algériens de l’émigration et européens d’avant indépendance. Il milite entre le culturel et le politique. La dictature d’Alger organise un procès mascarade et le condamne à mort.
C’est la deuxième fois qu’il frôle la peine capitale, une fois par le colonialisme et la deuxième fois par l’injustice de son propre pays. Continuant son combat politique à Paris, Mohamed BOUDIA est aussi administrateur du TOP (Théâtre de l’Ouest Parisien) en 1968.
La révolution palestinienne bat son plein avec les détournements d’avion et les attentats qui internationalisent le conflit israélo-palestinien.
Le plus naturellement du monde, Boudia avec le RUR rejoignent le combat des palestiniens avec les fractions en lutte puis s’autonomisent après septembre noir en organisant leurs propres actions violentes comme :
En 1972
-Une opération de sabotage détruit deux raffineries simultanément en Hollande par deux équipes de BOUDIA.
-Un sabotage en Italie fait sauter le pipeline qui alimente Israël.
-Boudia coordonne une équipe de femmes pour une série d’attaques à l’intérieur même d’Israël durant la fête de Pâques avec Evelyne, les sœurs Bradley, Bardai, Marleux, Nadia et Edith Bughater mais elles furent arrêtées et jugées en Israël. Lors de la prise d’otages à Munich, le commando palestinien exigea leur libération.
-Boudia rencontre et coordonne les actions avec les groupes révolutionnaires d’extrême gauche italienne, allemande et l’armée rouge japonaise.
A ce moment-là, Mohamed, est dans le viseur des polices européennes notamment italienne mais les hautes autorités israéliennes programment sérieusement sa mort.
En juin 1973, Boudia prévoit de rentrer sur Alger en passant par le Liban mais le Mossad était au rendez-vous et cette fois-ci et pour la troisième fois, la mort ne le rate pas.
Le 04 juillet à la veille de la fête d’indépendance, Mohamed BOUDIA est inhumé au cimetière d’El Katar de la Casbah.
Le lendemain 5 juillet, un mince filet parait dans El Moudjahid qui évoque sa mort d’une manière presque anonyme en évoquant Boudia comme un militant palestinien tout en occultant son rôle dans la révolution algérienne et son travail post indépendance en Algérie.
Jusqu’à ce jour, Mohamed BOUDIA continue d’être banni et aucun édifice ou lieu ne porte son nom.
Le livre s’achève avec cette phrase : « C’est en ce sens que l’œuvre de Boudia nous offre des pistes pour penser encore aujourd’hui la combinaison d’un rapport à la culture et à la lutte révolutionnaire qui assume à la fois des sentimentalismes particuliers et un matérialisme réaliste ».
Yacine M