Polémique au Baccalauréat : L’historien Hosni Kitouni fustige le "narratif colonial inepte" de Stora
- cfda47
- 18 juin
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“L'histoire est écrite par les vainqueurs", disait Winston Churchill. Mais que se passe-t-il quand cette histoire falsifiée se retrouve dans les copies de baccalauréat ? C'est précisément ce que dénonce aujourd'hui l'historien algérien Hosni Kitouni. Le chercheur associé à l'université d'Exeter s'élève contre le choix d'un texte de Benjamin Stora pour l'épreuve de français du baccalauréat 2025, un passage consacré à la formation de la propriété coloniale en Algérie qu'il qualifie de "narratif colonial le plus inepte”.
Le texte incriminé, extrait d'un ouvrage de l'historien Benjamin Stora, était proposé aux candidats dans le cadre de leur épreuve de français. Pour Kitouni, auteur de “Le désordre colonial” (2018), ce choix éditorial pose un problème de fond. “Comment en 2025 peut-on donner à nos futurs étudiants un texte qui défile de bout en bout le narratif colonial le plus inepte, chargé de contre-vérités et factuellement faux”, s'interroge-t-il.
La critique de l'historien algérien porte sur trois points qu'il considère comme des erreurs historiques. Il conteste d'abord l'affirmation selon laquelle il n'existait pas de propriété privée de la terre en Algérie avant 1830. Selon Kitouni, cette assertion ignore délibérément l'existence de zones privées :
“toutes les zones de culture arbustive (soit l'agriculture de montagne), les zones de cultures maraîchères et les oasis étaient de statut privé”.
La formulation technique utilisée par Stora, qui affirme que “la colonisation a lié son avenir économique à l'agriculture”, masque selon Kitouni une réalité plus brutale. “C'est masquer par un terme technique une réalité sociale, politique et humaine. En vérité la colonisation a lié son sort à l'exploitation du travail des Algériens, à la dépossession massive de leurs terres et à l'impôt extractif”, soutient-il.
Le troisième reproche concerne la présentation des lois Warnier sur la propriété. Kitouni précise que ces lois n'ont pas directement agrandi le patrimoine européen, mais que c'est leur détournement par la pratique de la licitation qui a favorisé le transfert massif de propriétés. Cette pratique, qu'il qualifie de “l'un des scandales les plus honteux de la République française”, contraignait les paysans algériens à payer pour se débarrasser de leurs terres.
Mais c'est l'omission du Séquestre qui suscite la plus vive critique de l'historien. Cette disposition juridique d'exception, absente du texte de Stora, constitue pourtant selon Kitouni le cœur de la dépossession :
“C'est en application du Séquestre que 500.000 hectares ont été accaparés par l'administration en 1871. C'est par le Séquestre que s'est constitué le 4/5ème des 6 millions d'hectares pris aux Algériens”.
Cette polémique révèle des tensions plus profondes autour de l'enseignement de l'histoire coloniale. Kitouni établit un parallèle avec la situation actuelle à Gaza, soulignant que :
“la question de la terre a été dans l'histoire de l'Algérie, l'objet d'une guerre totale de 1830 à 1962”.
Pour lui, les historiens algériens ont largement documenté cette période, ce qui rend le choix du texte de Stora d'autant plus incompréhensible.
L'historien algérien va plus loin en analysant les enjeux sous-jacents de cette présentation édulcorée. Il explique que “le problème de M. Stora et des historiens français avec la question de la terre est très simple, il renvoie à l'origine du peuplement colonial”. Selon cette analyse, reconnaître le rôle actif des Européens dans la dépossession remettrait en question le récit officiel français sur la colonisation.
La comparaison avec Israël n'est pas fortuite dans l'argumentation de Kitouni. “Les Européens, comme les Israéliens d'aujourd'hui ont été les moteurs du processus colonial et la terre l'enjeu principal de la conflictualité coloniale”, affirme-t-il. Cette analogie souligne selon lui l'actualité brûlante de ces questions historiques.
L'intervention de Kitouni s'inscrit dans un débat plus large sur la mémoire coloniale française. L'historien, qui avait déjà critiqué le rapport Stora sur les questions mémorielles franco-algériennes en 2021, maintient sa position critique face à ce qu'il perçoit comme une minimisation du passé colonial.
Amine BAKIR
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