top of page

Selon l'historien Luc Chantre: Le pouvoir colonial français a manipulé le pèlerinage à La Mecque


Le pouvoir colonial français a manipulé le pèlerinage à La Mecque pour contrôler les élites musulmanes algériennes, invoquant des raisons sanitaires et sécuritaires. Dès 1848, les restrictions se sont intensifiées, jusqu'à l'utiliser en 1916 pour obtenir leur soutien durant la guerre, a indiqué l'historien Luc Chantre, sur les ondes de Radio Culture.


Luc Chantre est l'auteur d' "Une menace venue d’Orient. Un siècle de pèlerinages à La Mecque dans l’Algérie coloniale (1840-1940)". Il explique qu'en 1842, le maréchal Bugeaud avait voulu séduire plusieurs membres des élites musulmanes d'Algérie en leur offrant le pèlerinage à La Mecque. C'était aussi une façon, selon lui, "d’éloigner du pays, pendant un certain temps, et même pour toujours, des individus qui auraient été une cause d’inquiétude pour notre domination".


Néanmoins, à partir de 1848, les autorités françaises ont surtout cherché à contrôler ces déplacements en avançant des arguments d'ordre sanitaire et sécuritaire.


L'instrumentalisation de la peste et du choléra

La persistance de la peste et du choléra au Moyen-Orient a servi de prétexte pour soumettre le pèlerinage vers La Mecque à une autorisation de la part des "bureaux arabes", ces structures administratives mises en place par la France pour imposer sa politique coloniale. À la même époque, les déplacements des membres des confréries religieuses ont fait l’objet d’une surveillance de plus en plus étroite.


Sous le Second Empire, ces contrôles se sont intensifiés, grâce à des circulaires conditionnant la délivrance de passeports à une enquête préalable sur la moralité et les activités du demandeur.


Le développement des chemins de fer et de la marine à vapeur ayant accéléré la diffusion des épidémiesles lieux saints de l’islam ont pu être présentés comme l’un des centres de propagation du choléra vers la France. Au cours des années 1870-1880, l'avènement de la IIIe République a poussé au paroxysme les discours présentant le pèlerinage de la Mecque comme un danger à la fois sécuritaire et sanitaire.


Après l’imposition du protectorat sur la Tunisie en 1881, le terme générique de "panislamisme" a émergé pour dénoncer la propagande des confréries musulmanes. La diffusion de l’islam a été alors assimilée à la contagion cholérique depuis le foyer infecté que constituait la cité interdite de La Mecque.


La Mecque, de la cité interdite au pèlerinage officiel

En conséquence, le régime des autorisations sanitaires, délivrées depuis Paris par le Comité consultatif d’hygiène publique, s'est considérablement durci. De même, à Alger, les permis de voyage et les passeports de pèlerinage ont été délivrés avec parcimonie aux notables ou aux chefs de confréries dont on souhaitait s’attirer les faveurs.


Cette façon de contrôler le pèlerinage vers la Mecque a fait, dès cette époque, l’objet de nombreuses critiques. Les Britanniques ont dénoncé des atteintes aux libertés religieuses en mettant en avant leurs propres pratiques. En Inde, en effet, les notables musulmans étaient associés à l’organisation du pèlerinage et le transport des pèlerins était confié à l’initiative privée.


Même au sein du milieu colonial français, certains ont commencé à contester le contrôle tatillon des autorités. Ils ont défendu l'idée qu'il fallait utiliser le pèlerinage de la Mecque pour associer davantage les élites algériennes aux entreprises coloniales. Cet argument a fini par s'imposer pendant la Première Guerre mondiale.


En 1916, un pèlerinage officiel a même été organisé pour les musulmans de l’empire français. Le but était de faire accepter l'effort de guerre aux colonisés du Maghreb, mais aussi de favoriser les entreprises diplomatiques visant à développer une zone d’influence française en Syrie.



Source: Luc Chantre, Historien, Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Rennes 2 (unité de recherche Tempora) et enseignant  à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Spécialiste de l’histoire contemporaine du pèlerinage à La Mecque (XIXe-XXe siècles)


17 vues

Comments


bottom of page