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Algérie/Maroc: l'eau devient arme géopolitique dans un Maghreb assoiffé

L'eau, source de vie devenue rare, attise les braises entre Rabat et Alger. L'oued Guir, modeste cours d'eau descendant des hauteurs de l'Atlas marocain vers les terres algériennes, catalyse désormais les rancœurs entre deux voisins aux relations déjà empoisonnées.

 

En 2021, le Maroc a inauguré le barrage de Kaddoussa, imposante structure de 220 millions de mètres cubes. Ce projet hydraulique, stratégique pour le royaume, est rapidement devenu pierre d'achoppement dans les relations bilatérales. Alger pointe un doigt accusateur vers cette infrastructure, la rendant responsable du tarissement du réservoir de Djorf Torba, fierté hydraulique algérienne nichée près de Béchar.

 

"Assèchement délibéré", "pratiques hostiles", "obstruction" - le vocabulaire diplomatique algérien ne mâche pas ses mots. Taha Derbal, ministre algérien chargé des ressources hydriques, a porté ces griefs jusque dans les enceintes internationales, notamment lors du Forum de Bali en mai dernier et durant une rencontre en Slovénie consacrée aux eaux transfrontalières.

 

Les conséquences locales semblent tangibles. Des poissons morts flottant sur l'eau stagnante, des oiseaux migrateurs ayant déserté leurs escales habituelles, et surtout, des robinets asséchés dans certains quartiers de Béchar - parfois jusqu'à dix jours sans goutte d'eau, selon des témoignages locaux.

 

Pourtant, l'équation hydraulique s'avère plus complexe qu'il n'y paraît. Selon des experts indépendants, si le barrage marocain capte effectivement une partie des eaux, un affluent important rejoint l'oued Guir en aval de l'infrastructure, limitant la réduction du débit à environ 12% selon un hydrologue français spécialiste de la région. Par ailleurs, la sécheresse persistante qui frappe l'ensemble du Maghreb depuis plusieurs années constitue un facteur aggravant majeur.

 

Au-delà des aspects techniques, cette rivalité autour de l'eau s'explique également par les enjeux économiques considérables des deux côtés de la frontière. À Béchar, l'Algérie construit un imposant complexe sidérurgique destiné à traiter le minerai extrait du gisement saharien de Gara Djebilet - projet industriel titanesque nécessitant “d'importantes quantités d'eau”.

 

Côté marocain, les palmiers dattiers conquièrent le désert à marche forcée. Initialement prévu pour irriguer 4 000 hectares de palmeraies, le barrage de Kaddoussa alimente aujourd'hui près de 9 000 hectares, avec des projections atteignant 15 000. Une monoculture aberrante pour le climat local, selon des agronomes marocains inquiets de voir les nappes phréatiques s'effondrer “jusqu'à sept mètres par an” dans certaines zones.

 

Dans ce Maghreb où chaque goutte d'eau devient précieuse, la gestion des ressources hydriques s'impose comme nouveau terrain d'affrontement entre deux nations que tout semble désormais opposer. Alors que les effets du dérèglement climatique s'intensifient, cette première "guerre de l'eau" pourrait préfigurer d'autres tensions régionales autour de ce bien commun devenu stratégique.


Sophie K.

 
 

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