
Une nouvelle étude révèle l'ampleur alarmante des intentions d'émigration chez les étudiants universitaires algériens, phénomène qui s'accentue drastiquement ces dernières années. L'enquête menée auprès de 474 étudiants de l'Université de Bejaïa en 2024 dévoile que 75,9% d'entre eux envisagent de quitter le pays, contre seulement 51,9% en 2017.
Plus inquiétant encore, cette volonté d'émigrer ne reste pas à l'état de simple souhait. L'étude démontre que 52,3% des étudiants ont déjà entamé des démarches concrètes pour partir à l'étranger. L'intensité de cette intention est particulièrement élevée : 36,3% des répondants expriment une intention “très forte” et 23,4% une intention “forte”.
Pour 69,6% des étudiants interrogés, le choix même de leur filière d'études était déjà orienté vers un projet migratoire, révélant une planification précoce de leur départ.
Les données démographiques montrent que les jeunes de 17-22 ans sont légèrement plus enclins à émigrer (79,2%) que leurs aînés de plus de 22 ans (70,6%). Contrairement aux tendances historiques, les femmes (77,4%) expriment désormais une intention d'émigrer plus forte que les hommes (72,8%), reflétant la féminisation croissante des diplômés universitaires algériens.
Le chômage des diplômés, moteur principal de l'exode
Le taux de chômage chez les diplômés de l'Université de Bejaïa s'élève à 44,60%, soit plus du double de la moyenne nationale. Cette situation est encore plus critique pour les femmes diplômées (49,25%) que pour les hommes (38,40%).
À l'échelle nationale, les chiffres sont tout aussi préoccupants. Le taux de chômage des diplômés du supérieur en Algérie (18,5%) dépasse largement la moyenne générale du pays (11,7%), avec un écart considérable entre les hommes (13,3%) et les femmes (23,5%).
Une perception négative des opportunités locales
L'étude révèle un contraste saisissant dans la perception des opportunités professionnelles, puisque 94% des étudiants considèrent les pays d'accueil comme avantageux en termes d'opportunités, tandis que seulement 36% pensent que ces mêmes opportunités existent en Algérie.
Si la France reste la destination privilégiée avec 43,6% des intentions, notamment grâce aux liens historiques et linguistiques, le Canada émerge comme une alternative séduisante (30,5%), suivie par d'autres pays d'Amérique du Nord (10,7%).
Le capital social joue un rôle déterminant dans ce choix. En effet, 83,1% des étudiants ayant de la famille en France choisissent ce pays comme destination.
Bejaïa : une situation particulière
L'Université de Bejaïa, avec ses plus de 40 000 étudiants répartis sur huit facultés, présente une caractéristique unique qui favorise l'émigration. Elle est pratiquement la seule université en Algérie à dispenser ses enseignements principalement en français, facilitant ainsi l'intégration des diplômés dans les pays francophones.
De plus, située en Kabylie, région historiquement pourvoyeuse de migrants depuis l'époque coloniale, Bejaïa bénéficie de réseaux migratoires établis qui facilitent le passage de l'intention à l'action.
Cette accélération de la “fuite des cerveaux” s'inscrit dans une continuité historique. Depuis l'indépendance, plusieurs vagues d'émigration des diplômés algériens ont été observées, motivées par l'arabisation, la bureaucratisation de la recherche, l'instabilité politique et sécuritaire des années 1990, et les réformes universitaires successives.
Alors que le système universitaire algérien a connu une expansion remarquable, passant de 2 000 étudiants en 1962 à plus de 1,5 million en 2023, dont 60% de femmes, il peine à retenir ses talents, compromettant ainsi le développement économique et social du pays.
Le lien de l’enquête:
Sophie K.
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