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Quand l’art redonne souffle à la mémoire : Nekmaria et les enfumades du Dahra

  • cfda47
  • 19 juin
  • 5 min de lecture

Le 18 juin 2025, à Nekmaria, petit village côtier niché dans la wilaya de Mostaganem, l’histoire s’est figée sur un mur. Une fresque murale, vaste et vibrante, a été inaugurée pour rendre hommage aux victimes des enfumades du Dahra, atroce massacre colonial survenu exactement 180 ans plus tôt. Réalisée par un collectif d’artistes algériens engagés dans la mémoire historique, la fresque se veut un acte de transmission intergénérationnelle. Là où jadis les grottes furent empoisonnées par la fumée, c’est aujourd’hui la couleur, l’art et la mémoire qui s’élèvent.


Une fresque poignante et chargée de mémoire a été inauguré à Nekmaria, petit village de la wilaya de Mostaganem, pour commémorer les victimes des enfumades du Dahra, l’un des épisodes les plus sombres de la colonisation française en Algérie. L’inauguration a eu lieu 180 ans jour pour jour après le massacre du 18 juin 1845, orchestré par le général Pélissier contre la tribu des Ouled Riyah.


Quand la fumée étouffe la mémoire : un crime colonial révélé

Cette œuvre murale, longue de près de dix mètres, représente des scènes symboliques : des grottes noyées de fumée, des silhouettes de femmes et d’enfants en détresse, et en arrière-plan, un ciel rougeoyant, allégorie de la violence coloniale.


Derrière cette œuvre engagée, un collectif d’artistes algériens a voulu raconter l’irreprésentable : la suffocation d’un peuple, le silence de l’histoire, la douleur transmise de génération en génération. Grottes assombries, visages brouillés, ciel brûlant… chaque coup de pinceau est une prière laïque, une flamme que le temps n’a pas éteinte.


La cérémonie a réuni habitants, historiens, représentants d’associations de mémoire et quelques figures politiques locales. Une minute de silence a été observée, suivie d’une lecture de textes d’auteurs algériens sur la résistance populaire. Certains n’avaient jamais entendu parler des enfumades. D’autres en avaient appris l’existence à travers des murmures familiaux ou des lectures clandestines. Tous, pourtant, ont reconnu dans cette fresque une nécessité : ne plus jamais détourner le regard.


 « L’oubli est aussi une forme de violence. Cette fresque, c’est notre façon de dire non », a confié Samia Bensalem, coordinatrice du projet.


Ouled Ryah, brûlés dans le silence de l’Histoire

Dans un pays où les plaies coloniales restent vives et souvent tues, cette initiative de Nekmaria résonne comme un acte de résistance artistique, mais aussi un geste de réparation. Car la mémoire n’est pas seulement affaire de commémoration : elle est un outil de transmission, de dialogue et parfois, de guérison.


« Pendant longtemps, cette tragédie a été réduite au silence. Aujourd’hui, l’art devient notre langage de mémoire », a déclaré la coordinatrice du projet.


Cette initiative s’inscrit dans un mouvement plus large de réappropriation de l’histoire coloniale par la société civile algérienne. À l’heure où les débats sur les mémoires entre la France et l’Algérie restent sensibles, Nekmaria rappelle que les cicatrices de l’histoire peuvent trouver, dans l’art et la parole, une forme de réparation symbolique.


Face aux cendres de l’Histoire : le cri silencieux d’une fille à Nekmaria

En ce mois de janvier 2025, un souffle inattendu a traversé la grotte d’El Frachih, à Nekmaria, Mostaganem. Parmi les visiteurs venus honorer la mémoire des victimes des enfumades de 1845, une femme s’est tenue à l’écart, tremblante d’émotion. Elle s’appelle Isabelle Vaha, et elle n’était pas là en simple témoin : elle portait en elle l’ombre d’un héritage douloureux — celui d’un père tortionnaire, membre de la Légion étrangère française.


Isabelle n’a rien d’une militante politique, ni d’une universitaire en quête de vérité. Elle est venue en tant que fille, taraudée par les récits tus, les silences dans la maison familiale, les archives qu’elle a fini par consulter, un jour, trop tard peut-être. Face à la fresque de Nekmaria, elle n’a pas seulement vu les visages de femmes et d’enfants asphyxiés par le feu. Elle a vu ce que son père n’a jamais raconté. Ce que l’État a longtemps effacé.


« Je n’effacerai rien, je ne justifie rien. Mais je peux choisir de ne pas me taire à mon tour », a-t-elle murmuré, la voix brisée.


Son geste n’a pas fait de bruit dans les cercles officiels. Mais dans la petite université de Mostaganem où elle a témoigné, des étudiants ont pleuré. Des historiens ont salué une parole rare. Car dans la complexité brûlante de la mémoire coloniale, entendre la fille du bourreau poser des mots sur le crime, c’est aussi une forme de réconciliation — pas avec l’oubli, mais avec le courage.


En quittant la grotte, Isabelle a laissé une rose séchée et une lettre. On n’en connaît pas le contenu, mais ceux qui étaient là parlent d’un silence profond. Un de ceux qui libèrent.


Une barbarie française, une mémoire algérienne

Une œuvre marquante. Intitulé « Les enfumades du Dahra, le crime de la civilisation », a été réalisé par feu Abderrahmane Mostefa, figure incontournable de la culture algérienne — cinéaste, photographe, écrivain, journaliste, et lauréat du prix UNESCO en 1993. Il est décédé dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 2024 à Mostaganem, sa ville natale.


Le film, d’une durée de 74 minutes, s’appuie sur un scénario signé par l’écrivain Amar Belkhodja, qui y apparaît également pour commenter et contextualiser ce crime colonial. Il retrace avec force les événements du 18 juin 1845, lorsque plus de 1 000 membres de la tribu des Ouled Ryah — hommes, femmes, enfants — furent asphyxiés dans les grottes du Dahra, à Nekmaria, sur ordre du colonel Pélissier, exécutant la politique de terreur du général Bugeaud.


Le documentaire mêle témoignages d’historiens, archives, reconstitutions visuelles et voix off poignantes pour dénoncer ce que certains considèrent comme un des premiers crimes contre l’humanité de l’ère coloniale. Il a été projeté en avant-première à Alger en 2019, puis dans plusieurs villes comme Oran, Mascara et Chlef.


1845, grottes closes, justice en suspens

Dans son ouvrage Histoire, mémoire et colonisation (Chihab Éditions, octobre 2024), Hosni Kitouni, remet en cause la manière dont les enfumades du Dahra — notamment celles perpétrées à Nekmaria en 1845 — ont été historiquement présentées comme des « dérapages » isolés. Pour lui, ces actes relèvent au contraire d’une logique structurelle du colonialisme de peuplement, où l’extermination, la dépossession et la terreur faisaient partie intégrante du projet impérial.


Kitouni s’appuie sur des archives militaires françaises pour démontrer que ces violences n’étaient ni accidentelles ni marginales, mais bien instrumentalisées dans les luttes de pouvoir entre officiers coloniaux, notamment entre les partisans d’une colonisation militaire brutale et ceux d’une approche plus « civilisatrice ». Il parle même d’un processus « potentiellement génocidaire » visant à anéantir les fondements d’existence des populations autochtones : culture, économie, élites, lieux de savoir et de culte.


Ce livre s’inscrit dans une volonté de désenclaver l’histoire algérienne du récit colonial dominant, et d’en faire un objet de réflexion critique, ancré dans les réalités locales et les mémoires populaires.


Nadia B

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