Algérie : trois militant(e)s face à la justice après 17 mois de détention provisoire
- cfda47
- il y a 3 jours
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Arrêtés en juillet 2024, Tahar Achiche, MiraMoknache et Rafik Belayal comparaissent le 25 décembre devant le tribunal criminel de Dar El Beïda. Dix-sept mois de détention provisoire à Koléa pour trois militants qui incarnent la répression des opposants en Algérie.
Cela fait un an et demi que trois militants kabyle patientent derrière les barreaux de la prison de Koléa, près d'Alger. Tahar Achiche, Mira Moknache et Rafik Belayal, arrêtés lors d'une vague de répression en juillet 2024, seront enfin jugés le 25 décembre devant le tribunal criminel de Dar El Beïda. Leur longue détention provisoire illustre une pratique devenue courante en Algérie contre les opposants politiques.
Les accusations sont lourdes : atteinte à l'unité nationale et apologie du terrorisme, sur la base de l'article 87 bis du code pénal algérien. Des chefs d'inculpation que les organisations de défense des droits humains dénoncent comme des instruments de répression visant à faire taire les voix critiques. Pour les avocats de la défense, ces dossiers sont montés de toutes pièces, sans véritable fondement.
Une répression ciblée en Kabylie
L'affaire remonte aux 8 et 10 juillet 2024. Mira Moknache, universitaire à Béjaïa et figure du Hirak, est interpellée la première à son domicile d'El-Kseur. Deux jours plus tard, dans la nuit, un groupe d'amis et militants, dont Rafik Belayal et Tahar Achiche, est surpris par une irruption policière dans une maison à Tichy. Les arrestations s'enchaînent : en tout, une quinzaine de personnes sont embarquées.
Après plusieurs jours de garde à vue au commissariat central de Béjaïa, les militants sont transférés à Alger pour être présentés devant le pôle judiciaire spécialisé de Sidi M'hamed, qui traite les affaires de terrorisme. Certains sont placés sous contrôle judiciaire, d'autres, dont le trio Achiche-Moknache-Belayal, sous mandat de dépôt.
Pour Mira Moknache, ce n'est pas la première fois qu'elle est dans le collimateur de la justice. Cette fille d'ancien maquisard avait déjà été condamnée en 2021 à deux ans de prison ferme pour "atteinte à l'unité nationale", après avoir participé à des manifestations et dénoncé publiquement les incendies de forêt en Kabylie. En mars 2024, elle écope de six mois avec sursis pour participation à des rassemblements. Depuis, elle cumule les dossiers judiciaires : une affaire à Oran, une autre à Amizour, et maintenant celle qui la maintient à Koléa.
Un parcours judiciaire fait d'allers-retours
Le dossier de ces trois militants a déjà fait plusieurs fois le tour des tribunaux algériens. En septembre 2022, la chambre d'accusation de la cour d'Oran les renvoie devant le tribunal criminel. Le procès est programmé en décembre 2022, puis reporté au premier trimestre 2023. Après des mois d'attente supplémentaire, l'audience est finalement fixée au 25 décembre 2025 devant le tribunal criminel de Dar El Beïda.
En détention, les trois militants ont rejoint les actions de protestation collectives. Avec d'autres détenus d'opinion de Koléa, ils ont participé à des grèves de la faim pour dénoncer leurs conditions de détention et l'absence de jugement. Ces mouvements, relayés par les médias alternatifs et les organisations de défense des droits humains, n'ont pour l'instant pas fait bouger les lignes.
L'ONG Shoaa, qui suit de près le dossier de Mira Moknache, souligne que la militante n'a "ni incité à la violence, ni menacé l'ordre public". Pour l'organisation, sa détention vise bien au-delà de sa personne : elle constituerait un avertissement adressé à tous ceux qui osent s'exprimer publiquement en Kabylie.
Une pratique systématique
Selon les listes non exhaustives qui circulent sur les réseaux sociaux et dans les cercles militants, près de 250 personnes seraient actuellement détenues en Algérie pour "délit d'opinion". Beaucoup d'entre elles sont placées en détention provisoire pendant des mois, voire des années, sans être jugées.
Cette pratique, dénoncée par les organisations internationales de défense des droits humains, permet de neutraliser les opposants sans avoir à prouver leur culpabilité devant un tribunal. Les autorités algériennes, de leur côté, affirment lutter contre le terrorisme et défendre l'unité nationale face aux mouvements séparatistes.
Le contraste est saisissant entre ces longues détentions et les grâces présidentielles sporadiques dont bénéficient certains détenus. Récemment, l'écrivain Boualem Sansal, condamné à cinq ans de prison pour des déclarations controversées sur les frontières algériennes, a été gracié après seulement quelques mois de détention, suite à une intervention diplomatique allemande.
Pour Tahar Achiche, Mira Moknache et Rafik Belayal, le procès du 25 décembre pourrait marquer la fin d'un long calvaire judiciaire ou, au contraire, prolonger leur détention. Leurs proches et leurs avocats espèrent une relaxe, estimant que les charges retenues contre eux relèvent davantage de la répression politique que de faits délictueux avérés. En attendant, la fatigue physique et psychologique s'accumule dans les cellules de Koléa.
Amine B.



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