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Algérie: un débat sur l'héritage de Mouloud Mammeri censuré

L'écrivain Hend Sadi ne pourra pas présenter son livre “Mouloud Mammeri au cœur de la bataille d'Alger” à Sidi Aïch ce vendredi 26 avril comme prévu. Pour cause : une décision des autorités locales refusant d'autoriser cette conférence sur l'œuvre de l'écrivain et anthropologue algérien.


Ce refus, émis sans motivation par le chef de Daïra le 24 avril, fait écho à un précédent similaire remontant à 1980 à Tizi-Ouzou, où on avait alors interdit à Mammeri lui-même de s'exprimer publiquement. Comme le souligne Hend Sadi dans une publication sur son compte Facebook : “En 1980 à Tizi-Ouzou, on avait interdit de parler à Mouloud Mammeri. En 2024 à Sidi Aïch, on interdit de parler de Mouloud Mammeri.”


L'association culturelle Soummam Éco-culture de Sidi Aïch (Bejaia), organisatrice de l'événement, confirme les faits : “Notre demande d'autoriser l'organisation d'une conférence du professeur Hend Sadi a été rejetée par les autorités locales, et ce sans aucun motif au préalable!”


Cette décision ravive les vieilles blessures d'une période où l'expression de la riche culture amazighe était souvent bâillonnée. La figure de Mouloud Mammeri, ardent défenseur de ce patrimoine, concentre encore aujourd'hui les craintes d'un débat trop ouvert sur ces questions identitaires sensibles. Pourtant, l'itinéraire hors norme de cet érudit témoigne d'un apport inestimable à la connaissance de la langue et la littérature amazighes.


Mouloud Mammeri: itinéraire d'un érudit infatigable


Natif du village kabyle de Taourirt-Mimoun, Mouloud Mammeri entama son insatiable quête de savoir dès son plus jeune âge. Après des études primaires dans son terroir natal, le jeune Mammeri poursuivit sa formation académique au Maroc, puis en France au prestigieux lycée Louis-le-Grand.


Cette soif de connaissance fut brièvement interrompue par les affres de la Seconde Guerre mondiale durant laquelle il combattit vaillamment au sein des rangs de l'armée française. Les armes à peine déposées, Mammeri reprit le chemin des salles de classe, se destinant initialement à une carrière dans l'enseignement des lettres. C'est dans cette veine qu'il publia son premier roman, La Colline oubliée, en 1952.


Mais la fureur de la lutte pour l'indépendance algérienne allait précipiter un nouveau tournant décisif. Sous le nom de guerre Si Bouakaz, l'érudit prêta sa plume à la cause révolutionnaire en rédigeant notamment un plaidoyer retentissant sur la question algérienne adressé à l’ONU.


L'indépendance acquise, Mammeri se consacra pleinement à la redécouverte et la promotion du riche patrimoine linguistique et culturel amazigh. Véritable ambassadeur infatigable de cette cause, il sillonna les arcanes universitaires, fonda instituts et revues spécialisées, et conféra ainsi une nouvelle vigueur à la valorisation de cet héritage séculaire. Pendant cette période féconde, il enrichit également son œuvre littéraire avec des classiques comme Le Sommeil du juste (1955), L'Opium et le Bâton (1965) et La Traversée (1982).


La disparition brutale de Mammeri en 1989 à l'âge de 72 ans fut un deuil national, plus de 200 000 personnes se pressant pour lui rendre un ultime hommage. L'œuvre colossale et pionnière de ce fils illustre de la Kabylie restera à jamais gravée dans les annales culturelles algériennes.


Sophie K.


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