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Les observations finales concernant le quatrième rapport périodique de l’Algérie

Le Comité Onusien des droits de l’homme a examiné le quatrième rapport périodique de l’Algérie, les 4 et 5 juillet 2018 avant d’adopter ses observations finales le 20 juillet 2018.



Le comité tient toutefois à s’exprimer sur l’accueil satisfaisant des informations que contienne ce quatrième rapport, quoique soumis avec six années de retard. Il apprécie l’occasion qui lui a été donnée d’engager un dialogue avec la délégation de l’État partie sur les mesures prises par celui-ci pour donner effet aux dispositions du Pacte International pour les droits civils et politiques.

Parmi les aspects positifs salués par le comité, figure :

- L’ordonnance n° 11-01 du 23 février 2011 levant l’état d’urgence ;

- L’adoption de l’ordonnance n° 15-02 du 23 juillet 2015 apportant un certain nombre de modifications positives au code de procédure pénale ;

- L’adoption de la loi n° 15-12 du 15 juillet 2015 relative à la protection de l’enfance ;

- La révision de la Constitution de 2016 dont certaines dispositions renforcent un certain nombre de droits reconnus par le Pacte.


En revanche, l’applicabilité du Pacte dans l’ordre juridique interne demeure parmi les principaux sujets de préoccupation et surtout, de recommandations.


« L’État partie devrait prendre des mesures pour s’assurer de la primauté des dispositions du Pacte sur les lois nationales et donner ainsi plein effet aux droits reconnus dans le Pacte. Il devrait également prendre des mesures pour faire mieux connaître le Pacte et le premier Protocole facultatif s’y rapportant auprès des juges, des procureurs et des avocats afin de garantir que ses dispositions soient davantage prises en compte et appliquées par les tribunaux nationaux ».


Et comme ça été évoqué lors des rencontres, le comité s’inquiète de ce qu’en dépit de ses demandes répétées, l’État partie continue de faire référence systématique au document général type dit « aide-mémoire » sans répondre aux allégations soumises par les auteurs pour toutes les affaires couvrant la période de 1993 à 1998, et parfois même en dehors de cette période. Il souligne toutefois qu’il attend des informations plus circonstanciées sur chaque cas, en particulier sur les enquêtes et poursuites pénales menées relatives aux violations constatées par le Comité. Il regrette toutefois le large nombre de constatations du Comité qui ne sont pas mises en œuvre et qui font toujours l’objet d’une procédure de suivi.



Le comité prend également note de l’argument de l’Etat Algérien selon lequel les auteurs de communications ne sont pas dispensés d’épuiser les voies de recours internes en dépit de l’article 45 de l’ordonnance n° 06-01 du 27 février 2006. Les textes de la charte pour la paix et la réconciliation nationale ont été contestés tout au long de la session, car selon nombreux observateurs, certains textes prônent l’impunité et l’oubli. Il réitère donc ses préoccupations quant aux nombreuses graves violations qui auraient été commises et qui n’ont fait à ce jour l’objet d’aucune poursuite et condamnation.


« L’État partie devrait entreprendre toutes les démarches possibles aux fins de :

-S’assurer que l’article 45 de l’ordonnance n°06-01 n’entrave pas le droit à un recours effectif, conformément à l’article 2 du Pacte, et amender ledit article pour préciser sa non-application aux graves violations des droits de l’homme telles que la torture, le meurtre, la disparition forcée et l’enlèvement; -Garantir que les allégations de graves violations des droits de l’homme portées à sa connaissance, telles que les massacres, tortures, viols et disparitions, commises par les agents responsables de l’application de la loi et les membres des groupes armés font l’objet d’enquêtes, de poursuites et de condamnations;

-S’assurer qu’aucun responsable de grave violation des droits de l’homme ne se voit accorder une grâce, commutation, remise de peine ou extinction de l’action publique ».



Le Comité prend note des informations de la délégation selon lesquelles les condamnations sur la base de l’article 46 de l’ordonnance n° 06-01 seraient extrêmement rares sinon inexistantes. Il réitère toutefois ses inquiétudes sur le fait que ledit article prévoit un emprisonnement et une amende pour toute personne qui, en outre, porte atteinte aux institutions de l’Etat partie, nuit à l’honorabilité de ses agents ou ternit l’image de l’Etat partie sur le plan international. Ce même comité exprime enfin ses graves préoccupations quant aux allégations d’harcèlement policier et judiciaire ou de représailles à l’encontre des plaignants et de leurs familles.


Le Comité invite de manière urgente l’État partie à :


« -Coopérer de bonne foi avec le Comité dans le cadre de la procédure de communications individuelles en cessant de se référer à l’«aide-mémoire » et en répondant de manière individuelle et spécifique aux allégations des auteurs de communication;

-Prendre toutes les mesures qui s’imposent pour mettre en place des procédures voulues en vue de donner pleinement effet aux constatations du Comité de façon à garantir un recours utile en cas de violation du Pacte, conformément au paragraphe 3 de l’article 2. Rappelant les Principes directeurs relatifs à la lutte contre l’intimidation ou les représailles ».


Il invite de manière urgente l’État partie à :


« -Garantir l’absence de toute forme d’intimidation ou de représailles contre des individus qui coopèrent avec le Comité ;

-Abandonner les charges, et remettre en liberté et indemniser les individus qui seraient poursuivis, directement ou sur la base d’autres charges, pour avoir coopéré avec le Comité».


Dans son rapport final, le Comité reconnait les exigences liées à «la lutte contre le terrorisme » mais réitère ses préoccupations quant à l’article 87 bis du code pénal retenant une définition du crime de terrorisme trop large et peu précise permettant la poursuite de comportements pouvant relever de la pratique de l’exercice de la liberté d’expression ou de rassemblement pacifique. Il s’inquiète également des allégations faisant état de l’utilisation indue des dispositions anti-terroristes à l’encontre de défenseurs des droits de l’homme ou de journalistes. Il exprime également ses préoccupations quant à l’article 51 bis du code de procédure pénale permettant la reconduite de la période de garde à vue de 48 heures jusqu’à cinq fois et quant aux allégations selon lesquelles les personnes détenues dans ce cadre ne pourraient avoir accès à un avocat qu’à mi-parcours de leur garde à vue.



Pour ce qui est de la lutte contre la discrimination. Tout en prenant note des articles 295 bis 1 et bis 2 du Code pénal, le Comité demeure préoccupé que la définition retenue de « la discrimination » n’inclut pas des motifs de discrimination tels que la langue, les croyances religieuses, l’orientation sexuelle et l’identité de genre et regrette que la législation actuelle n’offre pas aux victimes des recours civils et administratifs efficaces. Il exprime également ses préoccupations quant aux allégations faisant état d’actes de discrimination, stigmatisation et discours haineux à l’encontre des populations migrantes, demandeurs d’asile et des populations amazighes.


Le Comité salue la consécration du principe d’égalité hommes femmes dans la Constitution mais exprime toutefois ses préoccupations quant au maintien de nombreuses dispositions discriminatoires à l’encontre de la femme en matière de droit de la famille (arts. 2, 3, 25 et 26).

Il prend note des mesures introduites dans le code pénal criminalisant certaines formes de violences domestiques mais demeure toutefois préoccupé par le caractère encore prévalent et accepté par la société de la violence à l’égard des femmes. Il s’inquiète du faible taux de signalement et de poursuite des auteurs de violence en raison notamment du risque de stigmatisation, de l’insuffisance de centres d’accueil et des mesures de protection et du manque de connaissance par les victimes de leurs droits.


Il s’inquiète également de la sévérité des peines prévues par l’article 309 du code pénal à l’encontre des femmes ayant recours à l’avortement en dehors des situations limitatives autorisées. Il s’inquiète également des informations faisant état de grandes disparités sociales quant au recours à l’avortement, les femmes les plus démunies ayant pour recours unique l’avortement non sécurisé, dans des conditions qui mettent leur vie et leur santé en danger (arts. 3, 6, 7, 17, 24 et 26).



Concernant « la peine de mort ». Un moratoire de facto est observé depuis 1993 par l’État partie, et parmi des recommandations du comité :



« L’État partie devrait envisager d’entamer un processus politique et législatif visant à abolir la peine de mort et mettre en place des mesures de sensibilisation de l’opinion publique et des campagnes en faveur de cette abolition. Il devrait par ailleurs :

-S’abstenir d’introduire de nouveaux crimes passibles de la peine de mort ;

-Réviser la législation se rapportant aux condamnations à la peine de mort par contumace et commuer les peines des détenus actuellement dans le couloir de la mort ;

- Entreprendre les étapes nécessaires en vue de l’adhésion au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort ».



Le Comité demeure préoccupé par l’ampleur du phénomène des « disparitions forcées » en Algérie, dans le cadre du conflit des années 90. Il déplore en particulier l’absence de recours efficace pour les disparus et/ou leurs familles et l’absence de mesures prises en vue de faire la lumière sur les disparus, de les localiser et en cas de décès de restituer leurs dépouilles aux familles :


« L’État partie devrait prendre toutes les mesures pour :

-Garantir aux disparus ainsi qu’à leur famille un recours utile, y compris aux familles ayant déclaré le décès de leur proche aux fins de bénéficier de l’octroi d’indemnités ;

-Garantir la mise en œuvre d’enquêtes efficaces et indépendantes sur toute allégation de disparition forcée ;

-Garantir l’accès à la vérité des familles de victimes notamment en organisant l’exhumation tombes sous X et des fosses communes et en procédant à l’identification des restes par des procédés scientifique, y compris l’analyse ADN; -Garantir le droit à réparation intégrale de l’ensemble des victimes ;

-Mettre en œuvre des garanties de non-répétition de disparitions forcées ;

-Mettre en œuvre les constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif en la matière, fournir toute information utile en vue de l’élucidation des cas pendant devant le Groupe de travail sur les disparitions forcées et concrétiser au plus tôt l’invitation adressée en décembre 2013,par l’Etat partie au Groupe de travail d’effectuer une visite sur son territoire. Il devrait également entreprendre toutes les démarches aux fins de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, un instrument qu’il a signé en 2007 ».



L’interdiction de « la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants » étaient aussi au cœur des débats lors de la session de travail :


« L’État partie devrait :

-Poursuivre ses efforts en vue d’éradiquer la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

-S’assurer que les cas présumés de torture et de mauvais traitements commis par les agents responsables de l’application de la loi, y compris les agents du Département de Surveillance et de Sécurité, fassent l’objet d’une enquête approfondie, et veiller à ce que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et à ce que les victimes obtiennent réparation et notamment se voient proposer des mesures de réadaptation ;

-Mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture ».




Tout en notant les affirmations de la délégation selon lesquelles il n’existerait aucun lieu de détention au secret sur le territoire de l’État partie, le Comité demeure préoccupé par les informations documentées faisant état de tels centres. Il s’inquiète également des cas de détentions arbitraires ne semblant faire l’objet d’enquêtes ou de poursuites et déplore l’absence d’informations quant aux cas individuels de Djameleddine Laskri, en détention depuis 24 années et de Ali Attar détenu sans mandat d’arrêt depuis février 2015.



Sur le dossier «Réfugiés, demandeurs d’asile et migrants», le comité s’inquiète toutefois de ce que le cadre juridique actuel relatif aux demandeurs d’asile et réfugiés, constitué de l’unique décret n°63-274 du 25 juillet 1964, ne réponde pas en l’état aux obligations de l’État partie tirées du Pacte. Il s’inquiète en particulier des allégations faisant état d’arrestations collectives de migrants, parmi lesquels des demandeurs d’asile et détenteurs de carte de réfugiés fournies par le Haut-Commissariat aux réfugiés, de détentions administratives et d’expulsions collectives, et ce sans aucune procédure. Il s’inquiète en particulier des allégations récentes faisant état du fait que 13.000 personnes auraient été renvoyées collectivement vers le Niger et auraient été abandonnées dans le désert, parmi lesquelles des femmes enceintes et des enfants (arts. 7, 9, 10 et 13).




Le rapport insiste sur la façon d’assurer la mise en œuvre de programmes de formation sur le Pacte, les normes internationales relatives à l’asile et aux réfugiés et les normes relatives aux droits de l’homme, à l’intention des agents de l’immigration et du contrôle des frontières.

Pour ce qui est de « L’Indépendance de la magistrature et réforme de la justice »,Le Comité accueille favorablement les efforts de l’État partie en matière de réforme et modernisation de la justice. Il note toutefois avec préoccupations l’insuffisance des garanties d’indépendance du pouvoir judiciaire et le rôle prééminent du pouvoir exécutif dans son organisation.

Les « Liberté de religion », «Liberté d’expression », «Liberté de réunion pacifique » et les « Libertés d’association et syndicale » n’ont pas échappées aux cribles du comité, qui exhorte l’Etat partie à :


- Éliminer toute disposition législative qui viole la liberté de pensée, de conscience et de religion ;

- Réviser toutes les dispositions pertinentes de la loi organique n°12-05 du 12 janvier 2012 et du code pénal pour les rendre conformes à l’article 19 du Pacte ;

- Veiller à la remise en liberté de toute personne condamnée pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression conformément à l’article 19 du Pacte et accorder à ces personnes une réparation intégrale de leur préjudice.

- Réviser la loi n°91-19 du 2 décembre 1991 aux fins de lever toutes les restrictions aux manifestations pacifiques qui ne sont pas strictement nécessaires et proportionnelles au regard des dispositions de l’article 21 et instaurer un régime de simple autorisation préalable des manifestations publiques ; et d’abroger le décret du 18 juin 2001 ;

- Réviser la loi n°12-06 du 12 janvier 2012 relative aux associations aux fins de la rendre pleinement compatible avec les dispositions de l’article 22 du Pacte ;

-Garantir la reconnaissance de plein droit des statuts mis en conformité d’associations déjà constituées et s’abstenir d’utiliser les dispositions de la loi n°12-06 en vue de suspendre de facto l’activité de certaines associations.

-Garantir l’exercice des libertés syndicales conformément aux dispositions de l’article 22 du Pacte et garantir la création de nouveaux syndicats indépendants ;

-S’abstenir d’actes de répression, harcèlement ou intimidations à l’égard des syndicalistes.


En guise de conclusion, le Comité prie l’État partie de lui soumettre son prochain rapport périodique le 27 juillet 2022 au plus tard et d’y faire figurer des renseignements précis et à jour sur la mise en œuvre des recommandations faites dans les présentes observations finales et sur l’application du Pacte dans son ensemble. Le Comité prie également l’État partie de consulter largement la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays aux fins de l’élaboration de son rapport.



Par Lila MOKRI

Genève, le 20/07/2018




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