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Migrants subsahariens: écrasés entre marteau sécuritaire et enclume raciste décomplexée

  • cfda47
  • 17 déc. 2023
  • 4 min de lecture

Demain, lundi 18 décembre, sera célébrée la Journée internationale des migrants. L’occasion de braquer les projecteurs sur le calvaire que vivent les migrants originaires d’Afrique subsaharienne dans les pays du Maghreb, sous l’effet des politiques répressives européennes.

 

Les images de migrants entassés dans des pick-ups conduits vers une mort certaine dans le désert ou de Subsahariens enchaînés dans des centres de détention libyens glacent le sang. Mais ces drames humains ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ils sont le résultat de politiques migratoires répressives et déshumanisantes mises en place aussi bien par les pays d’Afrique du Nord que par l’Union européenne. 

 

En Algérie, l'absence de législation relative au droit d'asile maintient les migrants dans un vide juridique propice à l'arbitraire. La loi de 2008 sur les conditions d'entrée, de séjour et de circulation des étrangers stipule que la situation irrégulière est passible de 5 ans d'emprisonnement. Pourtant, Alger avait pris des engagements en 2013 pour aligner ses pratiques sur les standards internationaux. Cette incohérence témoigne d'une absence de volontarisme politique sur ces questions.

 

Appelées par Bruxelles à endiguer les flux migratoires, les autorités algériennes ont accru la pression ces deux dernières années. Les arrestations violentes et les expulsions collectives vers les zones frontalières désertiques se sont amplifiées. Rien qu'en juillet 2022, plus de 300 migrants ont été abandonnés en plein Sahara à la frontière marocaine.

 

Un constat tout aussi alarmant au Maroc, où la répression policière s'abat au quotidien sur les migrants, quand elle ne les refoule pas aux frontières au péril de leur vie...La tragédie de Melilla du 24 juin 2022 qui a fait 23 morts parmi les migrants tentant de franchir la frontière reste un traumatisme profond.

 

Un an après, la situation des migrants dans la région reste désespérée, entre traque quotidienne et racisme ambiant. Certains attendent leur chance pour retenter le passage vers l’Europe, d’autres finissent par accepter le rapatriement, faute de perspectives.

 

Plus globalement, au moins 27 000 migrants auraient été arrêtés au Maroc au premier semestre 2022 selon l’AMDH. Outre la violence des arrestations, l’AMDH déplore l’augmentation des cas de refoulements illégaux aux frontières sud et orientale. Rien qu'entre janvier et septembre 2022, l'OIM y a recensé plus de 15 000 retours forcés de migrants.

 

Ces pratiques répressives accrus ont coïncidé avec le rapprochement diplomatique initié en mars 2022 entre Rabat et Madrid, après un an de brouille. En contrepartie du soutien espagnol au plan marocain d'autonomie du Sahara Occidental, le royaume s'est engagé à renforcer le contrôle frontalier pour endiguer les flux migratoires vers l'Europe. Une coopération récompensée par une enveloppe de 30 millions d'euros de l'Espagne.

 

Même son de cloche en Tunisie, où la répression des migrants s'est encore durcie, attisée par un discours officiel dépeignant une « invasion migratoire » à repousser.

 

Plus de 70 000 migrants ont ainsi été interceptés par les autorités tunisiennes en 2023, un record. La plupart ont été arrêtés au large de Sfax, porte de sortie la plus proche des côtes européennes. 

 

Mais au-delà de cette traque effrénée, c'est la violation manifeste des droits fondamentaux qui interpelle. Arrestations arbitraires, transferts manu militari vers la Libye voisine : la Tunisie orchestra un ballet rocambolesque pour se débarrasser des migrants irréguliers. Quitte à les livrer à un pays où torture et exactions sont documentées.

 

Ainsi, plus de 1500 migrants arrêtés ces derniers mois ont été remis de force aux autorités libyennes selon les médias locaux. Le mode opératoire est sans équivoque : arrestation illégale en Tunisie, passage nocturne de la frontière, et abandon à des hommes armés contre rémunération.

 

S'ensuit pour les migrants le calvaire des centres de rétention libyens, entre rançons, tortures et violences extrêmes. Au mépris total des droits humains.

 

Par ce zèle extrême à satisfaire Bruxelles, la Tunisie foule donc aux pieds les conventions internationales sur les réfugiés et le droit d'asile. Quitte à fermer les yeux sur les pires crimes commis juste après ses frontières. Une complicité active aussi condamnable qu'intenable.

 

Ces exactions quotidiennes sont directement imputables aux politiques européennes extrêmement restrictives en matière d’immigration. En externalisant la gestion des flux migratoires, l’UE fait porter aux pays d’Afrique du Nord un fardeau disproportionné. Le chantage exercé à coup de millions d’euros pour le contrôle des frontières a également placé certains gouvernements de la région dans une position intenable.

 

Pris en étau entre les injonctions européennes et leurs opinions publiques souvent opposées à l’accueil massif de migrants, ils ont fini par céder à la facilité répressive. Quitte à piétiner allègrement les conventions internationales sur les droits humains et le droit des réfugiés.

 

Une inquiétante dérive raciste en Europe

 

Si les politiques européennes externalisent la gestion des flux migratoires, c'est aussi en germe dans ses frontières mêmes que les discours de rejet des étrangers prolifèrent. Car le poison xénophobe se répand insidieusement au sein du continent.

 

En aval des politiques en amont, c'est une rhétorique hostile qui gagne du terrain dans les opinions. Alimentée à grand renfort de louvoiements semantiques, cette novlangue de la haine résonne désormais avec complaisance dans certains médias et partis.    

 

Entre les lignes, le détournement des mots laisse pantois. « Invasion », « submersion », « chaos » : tout le spectre martial du rejet de l'autre est convoqué. Et Eric Zemmour, Giorgia Meloni et consorts ne s’en privent guère. Un Eurobaromètre montre d'ailleurs que plus d'un sondé sur deux juge la description médiatique des migrants trop négative au Danemark ou Royaume-Uni.

    

Mais les maux des mots ne tardent pas à générer leurs effets bien concrets. En déshumanisant le migrant, on l’expose aussi à l’arbitraire le plus violent. En Ile-de-France, des centaines d’exactions policières sont documentées. En Irlande même, l’extrême droite attise tensions et passages à tabac. 

 

Face à cette brutalisassions en règle, un appel à la fraternité sans frontières. Tel qu’initié dès 2013 par le Pape François. Mais dans le vacarme ambiant d’un rejet rhétorique, son plaidoyer universaliste se mue en cri dans le désert.


Sophie K.

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