Ain El-Fouara, le réceptacle d’un obscurantisme rompant
- 30 juil.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 août

Une nouvelle fois, la statue de la dame Ain-El-Fouara a été dégradée. Après sa poitrine qui a reçu des coups de marteau à plusieurs reprises, un nouveau fou a donné des coups de pierre au visage de la centenaire gardienne de la ville de Sétif. Après avoir été cueilli par des policiers qui surveillaient les lieux, le profanateur a vociféré des insultes envers la société qui « accepte » une « dame dénudée » en terre d’Islam. Un acte qui rappelle les destructions opérées par les groupes terroristes en Syrie et en Afghanistan.
La statue d’Aïn El-Fouara, emblème de la ville de Sétif en Algérie, est bien plus qu’un simple monument : elle est devenue le théâtre d’un affrontement symbolique entre l’art, la mémoire collective et certaines idéologies radicales. Un homme, déjà connu pour des actes similaires, a de nouveau défiguré le visage de la statue, provoquant une onde de choc dans la population locale. Ce n’est pas un incident isolé : depuis 1997, la statue a été la cible de plusieurs attaques, souvent motivées par le rejet de la nudité ou par des convictions religieuses extrémistes.
Pour enlever toute connotation religieuse à ce nouveau forfait qui a défiguré Ain-El-Fouara, le directeur de la Culture de Sétif, Hachemi Ameur, a indiqué que le malfaiteur était « en état d’ébriété ». Comme si un homme ivre n’a qu’une statue, très entourée par des barreaudages depuis sa dernière destruction, comme ennemi. Cela peut être vrai, même si l’état physique de l’homme tel que présenté par des nombreuses caméras qui ont filmé la profanation de l’œuvre d’art présentent un homme en pleine possession de ses capacités physiques. Mais rien ne justifie cette nouvelle attaque contre une statue en pierre si ce n’est ce discours rétrograde qui sexualisé une pierre au point de lui couper les seins à différentes reprises ! Preuve que l’acte n’est pas isolé, ce nouvel « homme au marteau » a obtenu un soutien inégalé parmi des pans entiers de la société. Des esprits fermés affichent carrément leur hostilité à la présence de la statue de Ain-El-Fouara dans cet espace public.
Il est en effet difficile de séparer cet acte du discours obscurantiste ambiant. Car, deux jours auparavant, les réseaux sociaux se sont enflammés après l’apparition de l’écrivain Rachid Boudjedra à la télévision. Les commentaires n’ont pas concerné les déclarations ou les positions d’un homme connu pour être clivant. Non. Cela a porté sur la qualité du moudjahid de l’écrivain qui, même à un âge très jeune, s’était impliqué à sa manière dans le combat libérateur. Pour les partisans du courant le plus obscurantiste de l’Islam, qui semble ronger la société algérienne, un « moudjahid » ne peut être qu’un combattant pour « sa religion » alors que, c’est connu, la religion n’a jamais été le point fort de Rachid Boudjedra qui a toujours assumé ses positions là-dessus. Ces gens ne peuvent pas comprendre que l’écrivain, tout comme des millions d’Algériens, ont combattu pour la libération de leur pays et non pour une « oumma » dont ils se réclament désormais et à laquelle ils font allégeance.
Le danger réside justement dans cette identification à une entité qui ne fait pas nation. Et cette tendance, qui n’est pas nouvelle dans la société mais dont le champ s’élargit, se recrute même parmi les élites, politiques et culturelles. Le cas de Abderrazak Makri, l’ancien président du Mouvement de la Société pour la Paix (MSP) est déifiant : l’homme se réfère dans ses écrits à la « oumma » arabo-musulmane qu’à l’Algérie, une terre multiculturelle à l’histoire millénaire.
D’autres actes, à l’image des attaques répétées contre les femmes, illustrent bien cette tendance obscurantiste qui se répand dans la société. Cela appelle un sursaut salutaire de la part de l’école d’abord -même si l’institution éducative est déjà contaminée- et des médias ensuite. Mais cela n’est possible que s’il y a une vraie volonté politique.
Un symbole culturel résilient
Sculptée en 1898 par Francis de Saint-Vidal, la statue représente une femme nue tenant un vase d’où jaillit l’eau. Elle est classée comme bien culturel protégé depuis 1999, et son déplacement est interdit par le ministère de la Culture algérien.
Malgré les attaques, les habitants de Sétif ont toujours restauré et défendu cette œuvre, la considérant comme une part de leur identité.
Obscurantisme ou déséquilibre ?
Les motivations des agresseurs varient : certains sont présentés comme mentalement instables, d’autres comme influencés par des courants salafistes ou intégristes.
Ce rejet de l’art figuratif et de la nudité dans l’espace public soulève des questions profondes sur la liberté artistique, la tolérance et la préservation du patrimoine.
E. Wakli
Opmerkingen