L’affaire Nassera Dutour : quand l’oubli devient politique
- cfda47
- 5 août
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À l’approche de la Journée internationale des personnes disparues, célébrée chaque année le 30 août, l’affaire Nassera Dutour prend une résonance encore plus poignante. Cette journée vise à sensibiliser le monde aux disparitions forcées, à soutenir les familles en quête de vérité et à rappeler aux États leur responsabilité dans la lutte contre l’impunité. Le refoulement de cette figure emblématique de la mémoire des disparus, incarne exactement ce que cette journée dénonce : le silence, l’effacement, la répression.
Le 30 juillet 2025, l’Algérie a refoulé l’une de ses citoyennes les plus emblématiques : Nassera Dutour, militante des droits humains et figure centrale du Collectif des Familles de Disparus en Algérie (CFDA). Sans décision judiciaire, sans explication officielle, cette expulsion soulève de vives inquiétudes sur l’état des libertés fondamentales dans le pays. Refuser l’entrée à une citoyenne engagée dans la mémoire collective revient à nier non seulement sa citoyenneté, mais aussi le droit à la mémoire. Cette mesure semble refléter une volonté politique de mettre sous silence les voix du passé, celles qui dérangent par leur persévérance et leur refus d’oublier.
Son expulsion sans motif officiel est une attaque directe contre la mémoire collective et contre les droits des familles qui réclament justice depuis des décennies.
L’affaire Nassera Dutour est devenue un symbole fort des tensions entre les autorités algériennes et les défenseurs des droits humains. Militante emblématique, elle est présidente du Collectif des Familles de Disparus en Algérie (CFDA). Elle lutte depuis plus de 25 ans pour la vérité sur les disparitions forcées durant la « décennie noire » des années 1990.
Le 30 juillet 2025, Nassera Dutour a été refoulée à son arrivée à l’aéroport Houari Boumediene à Alger, sans justification légale ni décision judiciaire. Cette expulsion est considérée comme une violation flagrante de l’article 49 de la Constitution algérienne, qui garantit la liberté de circulation des citoyens. Cette affaire soulève des questions fondamentales sur le respect des libertés individuelles et la place des militants dans l’espace public algérien.
Des parlementaires et ONG ont souligné que ce refoulement viole des textes internationaux comme :
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 12.4)
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (articles 9, 10 et 12)
Des organisations comme SHOAA pour les Droits Humains ont condamné cette mesure comme un acte arbitraire et une atteinte aux normes internationales. Le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) a dénoncé une dérive autoritaire du pouvoir, soulignant que refuser l’entrée à une citoyenne algérienne revient à lui dénier sa citoyenneté. Des voix politiques et médiatiques ont également critiqué cette décision, la qualifiant d’« absurdité juridique » et de précédent dangereux.
L’expulsion : un symbole d’effacement et une violation du droit
Dans les années 1990, appelées « décennie noire », plus de 8 000 personnes ont disparu dans un climat de guerre civile. Nassera Dutour, dont le fils a disparu en 1997, incarne depuis la lutte des familles pour obtenir vérité et justice. Elle a été ciblée en raison de son engagement inlassable contre les disparitions forcées en Algérie, un sujet que les autorités cherchent à maintenir dans l’ombre. Elle a constitué plus de 5 400 dossiers individuels à transmettre aux Nations Unies, ce qui représente une pression internationale croissante sur le régime.
En ciblant Nassera Dutour, les autorités algériennes cherchent à dissuader toute mobilisation autour des disparitions forcées. Elle incarne une mémoire vivante que le pouvoir tente d’effacer, mais qui continue de rayonner à l’échelle internationale.
Ce geste est perçu comme un signal inquiétant sur la dérive autoritaire du régime algérien. Il pourrait entacher l’image de l’Algérie sur la scène internationale, notamment auprès des instances comme l’ONU ou la Commission africaine des droits de l’homme.
Le cas Dutour pourrait devenir un précédent juridique, mobilisable dans des recours internationaux ou devant des juridictions transnationales.
L'article 49 de la Constitution algérienne garantit le droit d’entrer et de sortir librement du territoire national. Les défenseurs des droits humains, des journalistes, des avocats et des partis politiques, comme le RCD et le FFS, dénoncent une dérive autoritaire.
Silence des partis politiques : Complicité tacite ou alignement ?
Le silence en politique, notamment dans l’affaire du refoulement de Nassera Dutour, n’est jamais neutre. Il peut être porteur de sens, de stratégie ou de malaise. Le silence peut aussi être juridiquement interprété, dans certains cas, « qui ne dit mot consent » devient une règle implicite.
L’espace politique algérien est fragmenté et affaibli, avec peu de partis capables de s’opposer frontalement au pouvoir. Le silence de certains partis politiques peut être le symptôme d’un manque de moyens, de courage politique ou de cohérence idéologique.
Certains partis n’ont pas de position claire sur les droits humains ou les disparitions forcées, et évitent donc de s’engager publiquement. Cela peut refléter une volonté de ne pas froisser l’électorat conservateur ou de rester neutres dans des débats jugés trop clivants.
Dans certains cas, le silence peut être interprété comme une forme de complicité passive, voire d’alignement avec les décisions du pouvoir. Cela soulève des questions sur la crédibilité démocratique de ces partis.
Ce silence, loin d’être neutre, façonne le débat public. Il peut renforcer le sentiment d’isolement des militants et affaiblir la mobilisation citoyenne.
Pourquoi cette affaire nous concerne toutes et tous ?
Elle touche à des principes universels : liberté, dignité, justice. Elle interpelle la société civile : qu’advient-il quand même les voix pacifiques sont bannies ?. Elle rappelle que la lutte pour les droits humains est une bataille de longue haleine, souvent contre l’amnésie et l’inertie politique.
Le silence de certains partis face à son refoulement affaiblit la défense des droits fondamentaux. Il révèle une crise de courage politique, où la mémoire des disparus devient un sujet trop brûlant pour être assumé publiquement.
À l’approche de la Journée internationale des personnes disparues, le refoulement de Nassera Dutour ne peut rester dans l’ombre. Son expulsion symbolise le rejet de la mémoire, le refus de justice et l’hostilité envers celles et ceux qui osent rappeler les non-dits du passé. Mais ce geste autoritaire a, en retour, ravivé un élan de solidarité. En incarnant la voix des familles brisées, Dutour devient l’écho des milliers de silences que l’État voudrait enterrer.
Face à cette tentative d’effacement, la mobilisation citoyenne est plus qu’un devoir moral : c’est une résistance collective. Parce qu’on n’efface pas la mémoire. Parce que toute personne disparue mérite qu’on la cherche. Et parce que le courage d’une mère peut réveiller la conscience d’un peuple.
Yacine M



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