Femmes dans les stades algériens: quand le football révèle la bataille des genres
- cfda47
- il y a 5 heures
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Une nouvelle polémique a éclaté ces derniers jours concernant la présence féminine dans les stades algériens. À l'occasion d'un match opposant la JS Kabylie à l'équipe de Biskra au stade Hocine Ait Ahmed, des appels à interdire l'accès des femmes aux gradins se sont multipliés sur les réseaux sociaux.
L'incident a pris une ampleur considérable lorsque le gardien de but adverse s'est livré à des gestes obscènes envers les supportrices présentes, sous-entendant clairement que “les femmes ne devraient pas se trouver dans les stades.”
Cet épisode n'est pas isolé mais s'inscrit dans une dynamique récurrente où, à la veille de chaque rencontre importante, des campagnes sont orchestrées par certains groupes de supporters masculins. Ces derniers tentent d'imposer leur vision d'un espace sportif exclusivement masculin, sous couvert d'arguments divers.
Face à cette provocation, de nombreuses voix se sont élevées pour renverser la perspective : ce n'est pas la présence des femmes qui pose problème, mais bien le comportement déplacé du gardien et de ceux qui soutiennent de telles attitudes. Ces observateurs appellent à des sanctions contre les comportements irrespectueux plutôt qu'à l'exclusion des femmes de l'espace public.
Une exclusion de fait, non de droit
Sur le papier, aucune loi n’empêche les femmes d’aller au stade. Mais dans les faits, c’est une toute autre histoire. Depuis les années 90 et la décennie noire, la mixité qui existait avant a fondu comme neige au soleil. Les stades sont devenus des forteresses masculines.
“À la veille de chaque rencontre, une campagne est menée depuis des pages appartenant à des supporters. Ces derniers considèrent que la présence des femmes dans les stades est inopportune et qu'elle les empêche de pratiquer leur sport favori, à savoir la violence, l'insulte et les vulgarités”, constate le journaliste Mohamed Mouloudj sur son compte Facebook.
Les motivations profondes derrière le rejet
Quand on gratte un peu la surface, on découvre que le problème est bien plus profond. “Derrière ces appels, l'arrière-pensée est tout autre. Il s'agit de marquer un espace qu'ils considèrent comme étant le leur. Ils pensent pouvoir le conserver en chassant les autres. Il s'agit aussi d'exprimer des opinions extrémistes, une virilité en mal d'efficacité.”
Plus révélateur encore, cette attitude constitue un aveu implicite : “Ces supporters reconnaissent implicitement que la présence des femmes les rappelle à l'ordre, leur interdit les incivilités. En somme, la femme les éduque par sa simple présence.” Cette dimension civilisatrice de la mixité serait précisément ce qui dérange certains groupes de supporters attachés à une conception du stade comme espace de défoulement sans limites.
Les observateurs font le parallèle avec desidéologies conservatrices : “Ils adoptent, non sans le savoir, le comportement islamiste. Ils veulent des stades sans femmes, des rues sans efféminés, des sociétés sans mélange, sans vie, sans souffle, sans rires et sans musique.”
Ce n'est plus une question de sport, mais un miroir des tensions qui traversent la société:“Ce n'est pas la foi qui parle, c'est la frustration. Ce n'est pas la morale, c'est la panique d'hommes incapables d'exister sans dominer.”
Une discrimination qui déborde les gradins
La tentative d'exclusion des femmes des enceintes sportives s'inscrit n’est que la pointe de l’iceberg. “Les femmes sont persécutées justement par tout le monde, dans la rue, dans le milieu professionnel, dans les écoles et les universités, etc. Le stade est un endroit de distraction qui doit être ouvert et accueillant autant pour les femmes que pour les hommes.”
Cette situation tranche avec les standards internationaux, comme le soulignent plusieurs commentateurs : “Dans tous les pays développés et émancipés, les femmes rentrent et assistent aux compétitions sportives.” Le contraste est d'autant plus frappant dans des régions où les femmes ont historiquement joué un rôle important, avec des références à des figures emblématiques comme Fadma N'Soumer qui témoignent d'une tradition d'engagement féminin dans tous les domaines.
Au-delà des mentalités, les infrastructures sportives ne suivent pas : sanitaires inadéquats, problèmes de sécurité aux abords des stades, et violence fréquente dans les tribunes… Tout décourage la présence féminine.
Des initiatives malgré tout
Quelques initiatives locales tentent de changer la donne. Certains clubs ont notamment aménagé des espaces dédiés aux femmes et aux familles dans leurs stades, démontrant que leur présence peut contribuer à apaiser l’ambiance générale. Ces efforts, bien qu'encore isolés, prouvent qu’une prise de conscience s’amorce.
Parallèlement, le football féminin tente de se faire une place au soleil, avec l'émergence de clubs et l'obligation récente faite aux structures professionnelles masculines de créer des sections féminines. Mais le chemin est encore long: les joueuses manquent cruyellement de moyens, d'infrastructures et de reconnaissance.
Un appel à la résistance collective
Face aux tentatives d'exclusion, un appel est lancé pour que “les femmes se rendent en masse dans les stades pour clouer le bec aux acteurs des forces rétrogrades.” Cette mobilisation collective est présentée comme nécessaire pour défendre un principe fondamental : “Faut-il leur rappeler que les espaces publics appartiennent à tous ? Les stades aussi.”
Comme le dit si bien Mohamed Mouloudj : “Face aux murs qu'ils dressent, faisons pousser des milliers de présences, des rires et un espoir infini de liberté.”
Amine BAKIR
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