Gaza : 200 morts plus tard, la presse mondiale dit enfin “stop”
- cfda47
- 9 juin
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Près de 200 journalistes palestiniens ont été tués par l'armée israélienne en 20 mois. Derrière chaque chiffre, un nom, une famille, une voix qui s'est tue. Ce massacre sans précédent pousse aujourd'hui plus de 130 organisations internationales de défense de la presse à lancer un appel inédit : ouvrir immédiatement Gaza aux journalistes du monde entier. Cet appel vise à protéger le droit fondamental à l’information et à dénoncer les entraves à la liberté de la presse dans les zones de conflit. Dans un contexte où la couverture médiatique devient un enjeu politique et humain, l’ouverture de Gaza aux reporters internationaux constituerait une étape essentielle pour garantir une transparence et témoigner de la réalité vécue par les populations locales.
Fatima Hassouna, Youssef El-Khazandar, Ahmed Mansour, Hisham Al-Nawja…Leurs noms sont portés sur une liste macabre qui compte désormais près de 200 journalistes palestiniens tués par l'armée israélienne en 20 mois de guerre. Quarante-cinq d'entre eux sont morts l'appareil photo ou le micro à la main, dans l'exercice de leur métier. Ils couvraient un bombardement, interrogeaient des témoins ou filmaient les décombres quand ils ont été touchés.
Ce carnage dépasse tout ce que le journalisme a connu dans les conflits récents. Face à cette hécatombe, Reporters sans frontières (RSF) et le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) ont décidé de mobiliser la planète presse. Leur appel, soutenu par plus de 130 organisations et rédactions internationales, exige “un accès immédiat, indépendant et sans restriction des journalistes internationaux à la bande de Gaza”.
Enfermés dans leur propre territoire
Depuis plus de 20 mois, aucun journaliste étranger ne peut fouler le sol de Gaza. Les autorités israéliennes ont hermétiquement verrouillé l'enclave, créant un vide médiatique sans précédent. Seuls les journalistes palestiniens témoignent encore, prisonniers de leur propre terre.
Ceux qui ont échappé aux bombardements vivent désormais un autre cauchemar. Ils fuient d'un quartier à l'autre avec leurs familles, dorment dans des écoles transformées en refuges, cherchent de la nourriture pour leurs enfants. Beaucoup ont vu leur maison détruite, leur matériel professionnel enseveli sous les décombres. Selon un rapport du CPJ, ils survivent “sans abris, sans matériel, sans soins et même sans nourriture”.
Malgré tout, ils continuent. Avec un téléphone portable qui leur sert de caméra, une connexion internet précaire, ils documentent l'indocumentable. Chaque jour qui passe, ils savent qu'ils peuvent être les prochains.
“Le blocus médiatique imposé sur Gaza, avec le massacre de près de 200 journalistes par l'armée israélienne, facilite la destruction totale de l'enclave bloquée ainsi que son effacement”, dénonce Thibaut Bruttin, directeur général de RSF. Pour lui, “les autorités israéliennes interdisent l'entrée aux journalistes étrangers et orchestrent un contrôle implacable de l'information”.
Cette élimination systématique des journalistes n'est pas le fruit du hasard de la guerre. Elle révèle une stratégie délibérée : faire de Gaza une zone aveugle, où les opérations militaires se déroulent loin de tout regard extérieur.
Les journalistes palestiniens le comprennent amèrement. Hier respectés pour leur travail, ils sont aujourd'hui des cibles. Leur seul crime ? Avoir voulu raconter ce qu'ils voyaient. Certains ont reçu des menaces directes, d'autres ont vu leurs proches interrogés. La pression psychologique s'ajoute aux risques physiques.
“C'est une tentative méthodique d'étouffer les faits, de museler la vérité, d'isoler la presse palestinienne, et avec elle la population”, analyse le directeur général de RSF. Cette guerre contre l'information permet de poursuivre les opérations dans l'obscurité totale.
Le droit international reste pourtant sans ambiguïté. “En droit international humanitaire, tuer un journaliste est un crime de guerre”, rappelle Thibaut Bruttin. “Ce principe n'a été que trop bafoué : il doit être appliqué.”
Une prise de conscience tardive mais massive
Face à cette tragédie, la communauté journalistique internationale sort enfin de son silence. Des salles de rédaction de New York à celles de Tokyo, des médias emblématiques de tous les continents rejoignent l'appel de RSF et du CPJ. Leur revendication traverse les frontières : pouvoir envoyer leurs correspondants travailler aux côtés des journalistes palestiniens survivants.
Cette mobilisation révèle l'ampleur du désastre. Jamais autant d'organisations ne s'étaient unies pour dénoncer la mort de confrères dans un conflit. Leur message, direct et sans détour, s'adresse aux gouvernements et institutions internationales, accusés de “silence coupable”.
Certains médias internationaux avouent leur impuissance. Comment couvrir un conflit quand on ne peut s'y rendre ? Comment vérifier les informations quand les seuls témoins risquent leur vie à chaque instant ? Cette frustration professionnelle rejoint aujourd'hui l'indignation humanitaire.
RSF refuse de se contenter de dénoncer. L'organisation a saisi à plusieurs reprises la Cour pénale internationale pour enquêter sur ces crimes de guerre présumés. Elle soutient aussi concrètement les journalistes palestiniens survivants à travers des partenariats avec des organisations locales comme ARIJ (Arab Reporters for Investigative Journalism).
L'information sacrifiée, la vérité enterrée
Gaza révèle une nouvelle forme de censure au XXIe siècle : l'élimination physique des journalistes couplée à l'interdiction d'accès aux médias étrangers. Cette double stratégie crée un vide informationnel total qui facilite la poursuite des opérations militaires.
Les familles des journalistes tués vivent un double deuil. Elles pleurent leurs proches, mais aussi la mort de leur espoir que le monde connaisse un jour la vérité sur ce qu'ils ont vécu. Leurs appareils photo brisés, leurs carnets de notes perdus dans les décombres emportent avec eux des témoignages irremplaçables.
Les tentatives judiciaires se multiplient pour briser ce mur du silence. L'Association de la presse étrangère a saisi la Cour suprême israélienne, sans succès pour l'instant. Le blocus médiatique persiste, malgré les appels répétés et les recours en justice.
Le lien de l'appel
Sophie K.
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