La double mesure: Quand “l'Union des journalistes arabes en Europe” joue aux équilibristes
- cfda47
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L'Union des journalistes et écrivains arabes en Europe (UJEAE), basée à Paris, se retrouve au cœur d'une controverse qui met en lumière les contradictions inhérentes à son positionnement sur la scène médiatique et politique arabe. Comment une organisation qui se présente comme défenseur des libertés intellectuelles peut-elle adopter des positions qui semblent s'aligner sur certains intérêts géopolitiques spécifiques ?
L'arrestation récente de deux intellectuels algériens – l'historien Mohamed El-Amine Belghit et l'écrivain Boualem Sansal – a provoqué une vague de réactions internationales, notamment à Paris. L'Union des journalistes et écrivains arabes en Europe s'est particulièrement illustrée dans cette affaire, mais son engagement révèle des paradoxes flagrants qui méritent d'être analysés.
Le communiqué publié par l'Union concernant l'arrestation de Mohamed El-Amine Belghit, placé en détention provisoire après avoir qualifié l'amazighité de “projet sioniste français” lors d'une émission sur Sky News Arabia, est révélateur. L'organisation condamne fermement cette arrestation, la qualifiant de “précédent grave” et exige "la libération immédiate" de l'historien assortie "d'excuses officielles des autorités algériennes".
Parallèlement, l'Union a également apporté son soutien à Boualem Sansal, écrivain détenu pour des propos controversés considérés comme une atteinte à l'unité nationale algérienne. Une grande soirée de solidarité a été organisée à l'Institut du monde arabe à Paris, en partenariat avec la maison d'édition Gallimard, rassemblant de nombreux intellectuels et membres de la société civile.
Si ces prises de position semblent s'inscrire dans une défense légitime de la liberté d'expression, elles contrastent étrangement avec d'autres actions récentes de l'Union, notamment sa demande adressée à la ministre tunisienne de la Culture d'annuler la semaine culturelle iranienne à Tunis. Cette démarche, justifiée par des “risques pour la cohésion culturelle et politique du monde arabe”, révèle une approche sélective des échanges culturels et intellectuels.
Des positions alignées sur certains intérêts géopolitiques ?
La défense acharnée de Belghit, dont les propos sur l'amazighité sont pour le moins controversés et potentiellement diviseurs, pose question. En qualifiant l'amazighité de “projet sioniste français”, l'historien s'attaque à l'identité culturelle d'une partie importante de la population nord-africaine. Plus troublant encore, l'Union va jusqu'à valider explicitement ces propos, affirmant que les propos de Belghit “s'appuient sur des faits historiques qui ne font aucun doute”.
Cette prise de position dépasse la simple défense de la liberté d'expression pour entrer dans le domaine de la caution intellectuelle. Que l'Union choisisse non seulement de défendre mais aussi d'approuver ce discours, tout en s'opposant à des manifestations culturelles iraniennes en Tunisie, suggère une orientation qui dépasse largement la simple défense des libertés intellectuelles.
“L'Union dénonce l'arrestation de Belghit comme un précédent grave”, indique le communiqué officiel, alors même que les justifications avancées par le parquet algérien concernent des accusations d'atteinte à l'unité nationale et d'incitation à la haine – des préoccupations que l'organisation non seulement minimise, mais contredit activement en légitimant les propos controversés de l'historien comme étant fondés sur "des faits historiques qui ne font aucun doute".
Une opinion publique divisée
Ces positions paradoxales de l'Union ne sont pas sans rappeler les divisions qui traversent l'opinion publique algérienne elle-même concernant l'affaire Belghit. Comme le rapportent plusieurs sources, cette affaire a “provoqué un vif débat en Algérie, divisant l'opinion publique et la classe politique, certains plaidant pour sa libération au nom de la liberté d'expression, d'autres soutenant la fermeté de la justice pour préserver la cohésion nationale.”
Le cas de Boualem Sansal présente une complexité similaire. Condamné à cinq ans de prison, l'écrivain bénéficie d'un large soutien international, la France ayant officiellement exprimé son "regret" et réclamé une issue “rapide, humaine et digne”. Cette mobilisation internationale, à laquelle participe activement l'Union, soulève des questions sur la géopolitique de la défense des libertés intellectuelles.
Une crédibilité en jeu
Pour maintenir sa crédibilité en tant que défenseur des libertés intellectuelles dans le monde arabe, l'Union des journalistes et écrivains arabes en Europe devrait peut-être adopter une approche plus cohérente et moins sélective. La défense de la liberté d'expression ne peut s'accommoder d'exceptions dictées par des considérations géopolitiques ou idéologiques.
La question reste posée : l'organisation défend-elle véritablement la liberté d'expression dans toute sa diversité, y compris lorsqu'elle va à l'encontre de certains intérêts ou récits dominants, ou ses prises de position répondent-elles à une logique plus complexe qui privilégie certains discours au détriment d'autres ?

Sophie K.