Protection des femmes en Algérie: “des signaux politiques, mais les lacunes structurelles persistent”, selon Amel Hadjadj
- cfda47
- 15 févr.
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Les instructions du Président Abdelmadjid Tebboune pour renforcer la protection des femmes victimes de violence en Algérie suscitent des réactions contrastées. Pour Amel Hadjadj, militante féministe et présidente du Journal Féministe algérien, ces nouvelles mesures représentent une avancée symbolique importante, mais leur mise en œuvre effective reste un défi majeur. Entretien avec une observatrice engagée qui livre une analyse sans concession de la situation.
Radio des sans voix : Le Président Tebboune vient d'annoncer de nouvelles instructions pour protéger les femmes victimes de violence. Quel regard portez-vous sur ces mesures ?
Amel Hadjadj : C'est indéniablement un signal politique fort qui mérite d'être salué. Mais permettez-moi de rester prudente : nous avons souvent constaté un fossé considérable entre les annonces et la réalité du terrain. L'impact concret dépendra entièrement de la mise en œuvre effective de ces instructions.
Radio des sans voix : Justement, parlons du terrain. Les peines actuelles, qui vont de 6 mois à 2 ans, sont-elles vraiment dissuasives selon vous ?
Amel Hadjadj : Ce qui est alarmant, c'est la banalisation croissante des violences, y compris dans les médias. Quand on voit la faiblesse de la protection accordée aux plaignantes, on ne peut pas dire que le système actuel soit dissuasif. J'attends de voir si ces nouvelles instructions s'accompagneront de mesures plus concrètes pour garantir une réelle protection.
Radio des sans voix : Vous accompagnez des femmes victimes de violence. Quels sont les principaux obstacles qu'elles rencontrent lorsqu'elles décident de porter plainte ?
Amel Hadjadj :(soupir) C'est un véritable parcours du combattant. D'abord, vous avez les obstacles procéduraux : des policiers et des magistrats peu formés, des délais interminables, la difficulté d'obtenir des preuves médicales... Mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg. La plupart de ces femmes sont économiquement dépendantes de leur agresseur. Et puis il y a cette terrible pression familiale : "Ne détruis pas ta famille", "Pense aux enfants"... Sans oublier le manque criant de structures d'accueil, particulièrement dans les régions éloignées.
Radio des sans voix : On entend beaucoup parler de la nécessité d'une meilleure coordination entre les différents acteurs. Qu'en est-il concrètement ?
Amel Hadjadj : C'est précisément là que le bât blesse. Nous avons besoin d'un véritable travail en réseau entre institutions et associations. Les lacunes structurelles actuelles et le manque de coordination sapent tous nos efforts pour protéger efficacement les victimes.
Radio des sans voix : La Constitution de 2020 a renforcé le rôle de l'État dans la protection des femmes. Avez-vous observé des changements depuis ?
Amel Hadjadj : Les nouvelles instructions présidentielles nourrissent certains espoirs, mais il faudra juger sur pièces. Pour l'instant, le constat reste le même : un manque criant de structures d'accueil et de mécanismes de prise en charge efficaces.
Radio des sans voix : Quelles sont les priorités en matière de formation des professionnels ?
Amel Hadjadj : Il faut une formation approfondie à tous les niveaux : justice, médecine légale, police, gendarmerie... Et pas des formations au rabais ! Ces formations doivent être intégrées dans les cursus de base. Nous avons besoin de professionnels qui comprennent vraiment les enjeux, qui sachent accueillir ces femmes sans les revictimiser. C'est un travail de longue haleine, mais c'est la seule façon d'avancer.
Radio des sans voix : Comment se situe l'Algérie par rapport aux autres pays du Maghreb sur ces questions ?
Amel Hadjadj : Les défis sont similaires : obstacles institutionnels, pesanteurs sociales, difficultés économiques... Ce qui compte, c'est d'avoir une approche globale qui prenne en compte toutes ces dimensions. Les textes ne suffisent pas, il faut une volonté politique forte et des moyens conséquents.
Radio des sans voix : Au-delà des aspects juridiques, quelles mesures seraient nécessaires pour faire évoluer les mentalités ?
Amel Hadjadj : C'est un changement de société qu'il faut opérer. Cela passe par l'éducation, la sensibilisation, mais aussi par l'autonomisation économique des femmes. Tant que nous n'aurons pas agi sur tous ces leviers, la protection juridique, aussi parfaite soit-elle, restera insuffisante.
Entretien réalisé par Sophi K.
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