Gagner en visibilité, une “lutte sans relâche” pour la communauté berbère du Maroc

Au Maroc, la loi d’officialisation de la langue berbère, constitutionnelle depuis 2011, n’a été adoptée qu’en 2019. Mais le budget 2023 consacre 300 millions de dirhams pour la rendre visible dans l’espace public du royaume chérifien.
Le long chemin vers la reconnaissance de l’identité amazighe
Le Nouvel An amazigh, Yennayer, est devenu au printemps un jour férié au Maroc. Une première victoire pour la communauté berbère marocaine, qui se bat depuis des décennies pour ne pas voir sa culture disparaître, analyse “The New Arab”.
Les Imazighen [pluriel d’“Amazigh”, littéralement “les hommes libres” en langue berbère], peuple autochtone d’Afrique du Nord, vivent dans la région depuis plusieurs millénaires. Ils y étaient installés bien avant la conquête arabo-musulmane du VIIe siècle.
Aujourd’hui, jusqu’à 70 % de la population marocaine revendiquerait un héritage berbère, indique “The New Arab”.
Pourtant, c’est seulement en 2001 que Mohammed VI – alors sur le trône depuis peu – a reconnu la place de la culture amazigh dans le patrimoine culturel national. Cet événement, surnommé le “discours d’Ajdir” [du nom de la localité où il s’est déroulé, dans la province de Khénifra], a marqué un tournant dans la politique gouvernementale vis-à-vis de la communauté berbère.
En 2003, l’enseignement de l’amazigh était introduit à l’école, avec le choix de l’alphabet tifinagh pour le transcrire. Une première chaîne de télévision berbère a vu le jour en 2010, tandis que le tifinagh s’est fait une place dans l’espace public, où il apparaît sur les devantures des institutions étatiques ou les panneaux routiers.
Il a tout de même fallu attendre dix ans de plus pour que le tamazight soit reconnu comme une langue officielle du Maroc, et pour que Yennayer devienne un jour férié national.
Pourquoi les Imazighen mettent-ils si longtemps à obtenir la reconnaissance qu’ils réclament ?
Certains commentaires postés sur les réseaux sociaux après l’annonce du palais au sujet du Nouvel An apportent quelques éléments de réponse.
Depuis qu’elle a quitté son village natal, perché dans l’Atlas, il y a cinquante ans, Saffiya, qui a grandi dans la communauté amazigh [berbère] marocaine, s’est habituée à voir une partie de son identité gommée par son propre pays.
Mais le 3 mai 2023, face à son poste de télévision, elle s’est sentie exister un peu plus. La seule chaîne marocaine en langue berbère retransmettait une annonce du palais : dorénavant, le Nouvel An amazigh (Yennayer) serait officiellement considéré comme un jour férié.
“Quand on dira à mes petits-fils de ne pas venir à l’école ce jour-là, ils se sentiront acceptés par leur propre nation. Ils comprendront que les plats que je leur cuisine et les histoires que je leur raconte sur leurs ancêtres sont réels, qu’il ne s’agit pas d’une invention de leur grand-mère gâteuse”, glisse-t-elle en riant.
Rachid Raha, président de l’Assemblée mondiale amazighe, une ONG représentant des associations du Maghreb et de la diaspora, indique au quotidien Français Le Monde, que les précédents gouvernements dirigés par le parti islamiste PJD (Parti de la justice et du développement), au pouvoir de 2011 à 2021, « avaient tout fait pour bloquer l’officialisation de la langue amazighe, au nom d’une histoire officielle construite autour de l’identité arabo-islamique et le refus de toute référence à une civilisation antérieure à l’islamisation. S’il existe encore des résistances, les conditions semblent aujourd’hui réunies pour promouvoir l’amazigh et réécrire l’histoire ».
Les premiers habitants du Maroc se nomment eux-mêmes les Imazighen, pluriel d’Amazigh – qui signifie « homme libre » – plutôt que « Berbères », un mot d’origine gréco-romaine qui désigne les « Barbares ».
« On peut se demander par quel miracle cette langue se parle encore, tant elle a résisté aux dominations successives, de l’Empire romain à la conquête arabe au VIIe siècle jusqu’aux colonisations française et espagnole », souligne l’historien Mohamed Handaine, président de la Confédération des associations amazighes du Sud marocain.
L’indépendance du Maroc, en 1956, n’a pas favorisé l’émergence de la composante berbère. Au contraire : « Toute une politique avait été mise en place dans les années 1970 pour arabiser le pays et éradiquer l’amazigh, rappelle-t-il, dans un contexte de prédominance des mouvements nationalistes et panarabes qui considéraient l’arabe comme seul garant de l’unité de la nation, et l’amazigh comme facteur de division. »
En 2015, les autorités Marocaines interdisaient la création d’un parti amazigh
Le projet de création d'une formation amazighe baptisée «Identité et Innovation», a fait face au refus des autorités Marocaines. Ses initiateurs disaient respecter la décision mais n'en démordaient pas pour autant.
En réponse aux autorités, les promoteurs d’«Identité et Innovation» affirmaient déjà, dans un communiqué, qu'ils ne visaient pas la constitution d'«une formation au référentiel ethnique», arguant que «les valeurs traditionnelles amazighes sont un patrimoine commun de tous les Marocains sans exception».
Autant de succès remportés par le mouvement amazigh, porteur de revendications culturelles et identitaires, mais aussi actif dans différentes luttes sociales et démocratiques au Maroc, comme l’a illustré la présence du drapeau tricolore lors du Mouvement du 20 février qui accompagnait le printemps arabe, ou dans les marches de protestation dans le Rif en 2016.
Le drapeau bleu, vert, jaune, frappé en rouge de la lettre Z de l’alphabet tifinagh – emblème des populations berbères (ou amazighs) d’Afrique du Nord –, a été fièrement brandi dans les stades lors du Mondial de football au Qatar fin 2022, quand la sélection marocaine a réalisé l’exploit historique d’atteindre les demi-finales. Un mois plus tard, le 13 janvier, le Nouvel An 2973 amazigh – ou Yennayer – était célébré dans tout le Maroc, mettant à l’honneur cette culture longtemps mise à l’écart, mais dont l’origine remonte à plusieurs millénaires.
Bien que ce jour ne soit pas une fête nationale chômée au Maroc– comme c’est le cas en Algérie depuis 2018 –, Yennayer, tout comme la Coupe du Monde, ont été des moments d’affirmation et de réappropriation de l’identité amazighe, après des décennies de lutte pour sa reconnaissance.
La rédaction
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