À Bogotá, l'Algérie des disparus trouve un écho mondial
- cfda47
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Depuis le 27 octobre, la capitale colombienne accueille le 42e Congrès mondial de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), une organisation centenaire qui fédère 192 ligues dans 117 pays. Cinq jours de débats et de résolutions, jusqu'au 31 octobre, sur un thème explicite, "Ici et maintenant ! Nous construisons la paix".
L'événement, organisé tous les trois ans, n'est pas un simple rendez-vous militant. Il fonctionne comme un baromètre de l'état des libertés publiques dans le monde, à un moment où la répression des défenseurs des droits humains s'intensifie, des Philippines à la Tunisie, du Nicaragua à l'Algérie. Le choix de la Colombie, où la justice transitionnelle reste fragile après un demi-siècle de guerre civile, ajoute une dimension symbolique à la rencontre. La paix, ici, n'est pas un mot d'ordre, mais une reconstruction quotidienne.
Dans les salles du centre de congrès de Bogotá, les discussions s'enchaînent sur la criminalisation du militantisme, les procès bâclés, les disparitions forcées, la manipulation du droit sous couvert de sécurité nationale. Juristes, ONG, syndicalistes, journalistes et familles de victimes confrontent leurs réalités. Tous partagent la même conviction, celle de la montée de l'autoritarisme qui s'accompagne partout d'un rétrécissement du droit à la vérité.
"Les voix critiques sont réduites au silence, l'autoritarisme se répand et la démocratie mondiale s'érode. Nous ne pouvons pas normaliser ce qui se passe", prévient la FIDH.
"En temps de répression et de censure, résister ensemble est un acte d'espoir."
L'Algérie et ses milliers de disparus

Au milieu de ces voix, l'Algérie fait entendre la sienne. Le Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA) participe à ces journées pour rappeler une évidence souvent refoulée. Plus de deux décennies après la fin de la guerre civile, la question des disparitions forcées reste sans réponse.
Entre 1992 et 2002, des milliers de personnes ont disparu après leur arrestation par les forces de sécurité ou des groupes armés. Les estimations vont de 10 000 selon les chiffres minimaux jusqu'à 20 000 selon certaines ONG. Leurs familles n'ont jamais obtenu ni vérité ni justice.
Fondée à Paris à la fin des années 1990 par des proches de victimes, le CFDA documente depuis vingt-cinq ans ces disparitions et interpelle les autorités algériennes. Sa présidente, Nassera Dutour, vit en exil en France. Elle-même mère d'un jeune disparu, elle incarne la persistance de cette lutte. "Aussi longtemps qu'il nous restera un souffle, nous nous battrons pour la vérité et pour que justice soit rendue aux disparus", déclarait-elle dans un rapport d'Amnesty International.
Mais la militante, figure respectée de la société civile, n'a plus le droit d'entrer sur le territoire algérien. Le 30 juillet 2025, elle a été refoulée à son arrivée à l'aéroport d'Alger. "Mon fils a disparu. Et voilà qu'on m'efface à mon tour. Mais tant que je pourrai parler, je le ferai, pour lui, pour les autres, pour la mémoire, pour la justice", a-t-elle confié aux médias.
À Bogotá, la présence du CFDA donne à cette cause un écho mondial. Aux côtés d'organisations venues d'Argentine, du Liban, du Sri Lanka ou du Maroc, les représentantes algériennes participent aux ateliers consacrés à la lutte contre l'impunité et à la protection des défenseurs. Les échanges portent sur les stratégies de documentation, les procédures de saisine de la Cour pénale internationale et le rôle des commissions vérité. Il s'agit de sortir la question algérienne de son isolement diplomatique et de renouer des alliances transnationales capables de relancer la pression.
Un tabou politique tenace
Depuis la ratification par Alger, en 2009, de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, aucun mécanisme national n'a été mis en œuvre pour rechercher les victimes ou identifier les responsables. Le Comité des Nations unies chargé du suivi de la convention déplore régulièrement l'absence de coopération du gouvernement algérien. Pour le CFDA, cette inertie s'explique par la persistance d'un tabou politique. Reconnaître les disparitions reviendrait à rouvrir la guerre civile dans le récit national, alors que les autorités préfèrent maintenir une mémoire officielle centrée sur la "réconciliation".
Le congrès de la FIDH n'apportera pas de solution immédiate à cette impasse, mais il offre un espace de parole inédit. Dans une session plénière consacrée aux disparitions forcées, les militantes et militants algériens ont pu confronter leur expérience à celle des Madres de la Plaza de Mayo argentines ou des collectifs colombiens de desaparecidos. Ces échanges, au-delà de la solidarité, permettent de penser d'autres formes de mobilisation, juridiques, médiatiques, transfrontalières, pour briser le silence.
Le lundi 27 octobre, plus de 200 défenseurs et défenseuses des droits sont descendus dans les rues de Bogotá pour exiger le respect de leurs droits, dénoncer les graves violations et demander la libération immédiate de toutes les personnes défendant les droits et injustement emprisonnées.
La FIDH doit, à l'issue du congrès, adopter un plan d'action pour la période 2025-2028 articulé autour de trois priorités. La défense des libertés publiques, la lutte contre l'impunité et la protection des défenseurs. Dans ce cadre, la participation du CFDA prend valeur de signal. L'Algérie n'est pas absente des débats internationaux sur la mémoire et la justice.
Pour les familles de disparus algériens, l'essentiel est ailleurs. Continuer à exister sur la scène internationale, rappeler que l'amnistie n'efface pas la disparition, et que la paix, pour être durable, ne se décrète pas. Elle se prouve, dossier après dossier, nom après nom.
Sophie K.



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