Algérie : vingt ans après le référendum, la paix acquise au prix du silence
- cfda47
- 28 sept.
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Dernière mise à jour : 29 sept.

Adoptée à 97 %, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale a pacifié le pays. Mais elle a aussi verrouillé la mémoire et consacré l’impunité, laissant les familles de disparus et les proches des victimes du terrorisme islamiste dans l’attente de vérité et de justice.
Demain, 29 septembre, l’Algérie se souviendra du référendum organisé il y a vingt ans sur la “Charte pour la paix et la réconciliation nationale”. Abdelaziz Bouteflika, alors à son deuxième mandat, présentait ce texte comme la solution définitive pour tourner la page des années 1990. Selon les chiffres officiels, près de huit électeurs sur dix ont participé et plus de 97 % ont approuvé la charte. Le pouvoir a brandi ces chiffres comme un plébiscite. Mais dans un pays où la presse, les partis et la société civile étaient étroitement surveillés, contester publiquement la charte revenait à s’exposer à des représailles.
La charte élargissait les dispositions de la Concorde civile adoptée en 1999. Elle offrait l’amnistie aux islamistes qui acceptaient de déposer les armes, sauf ceux impliqués dans des massacres collectifs, des viols ou des attentats dans des lieux publics. Le président gardait la main sur le processus ; il lui suffisait d’un décret pour en fixer les contours. En 2006, l’application concrète du texte a permis la libération de figures connues du terrorisme, comme Abdelhak Layada, fondateur du Groupe islamique armé (GIA). Pour le pouvoir, c’était une étape nécessaire pour mettre un terme à l’insurrection.
Mais le texte ne s’arrêtait pas là. Il exonérait également les forces de sécurité, alors même qu’elles étaient accusées de milliers de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires. Un article interdisait toute remise en cause publique de l’action des institutions pendant les années 1990, sous peine de prison. Human Rights Watch dénonçait déjà en 2005 “une réconciliation sans vérité” et “une amnistie qui ferme la porte à toute justice”.
Ce verrouillage légal a été vécu comme une trahison par les familles de disparus. Mais aussi par les familles de victimes du terrorisme, qui ont vu certains auteurs d’assassinats, d’attentats et de massacres bénéficier d’une amnistie sans jamais avoir été jugés. Pour elles, la réconciliation nationale a signifié l’effacement judiciaire de crimes sanglants, et l’absence de reconnaissance officielle de la souffrance endurée.
La décennie noire, qui a fait plus de 200 000 morts selon les autorités, a ainsi laissé deux plaies ouvertes; d’un côté, les familles de victimes du terrorisme qui continuent de réclamer justice, et de l’autre, les familles de disparus qui attendent encore de savoir ce qu’il est advenu des leurs. À la place, l’État leur a proposé des indemnisations.
Beaucoup ont refusé, jugeant qu’on cherchait à acheter leur silence. Nassera Dutour, présidente du Collectif des familles de disparus, le répétait :
“Nous ne cherchons pas à être indemnisés. Nous voulons savoir où sont nos enfants, ce qu’ils sont devenus, qui est responsable”.
Dans un témoignage recueilli par Amnesty International, une femme dont le mari a disparu après avoir été arrêté par les forces de sécurité racontait :
“Ils l’ont emmené devant moi. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles. On me demande de signer pour une indemnisation. Comment puis-je accepter de l’argent alors que je ne sais même pas s’il est mort ou vivant ?”.
Ces paroles, mises de côté par les autorités, illustrent la douleur silencieuse de milliers de familles. Leurs enfants, leurs pères, leurs frères se sont volatilisés, et leur absence hante encore aujourd’hui la mémoire collective.
La charte a certes ramené le calme. Les maquis islamistes se sont éteints, les attentats ont cessé, et l’Algérie a retrouvé une stabilité que beaucoup pensaient impossible quelques années plus tôt. Mais cette paix s’est imposée au prix d’un oubli imposé.
Dans les manuels scolaires, la décennie noire est réduite à quelques phrases. Dans les médias, rares sont ceux qui osent donner la parole aux survivants. Dans l’espace public, la guerre civile est restée une zone interdite, comme si la nommer risquait de réveiller des fantômes trop encombrants.
Cette amnésie organisée continue d’empoisonner la société. Les familles de disparus vivent toujours avec l’absence et le silence officiel. Les anciens islamistes amnistiés tentent de se réinsérer, souvent en marge. Les militaires et responsables politiques, eux, bénéficient d’une protection totale. Plusieurs historiens et juristes algériens résument la Charte comme une fermeture politique du dossier des années 1990, sans qu’aucun travail de vérité n’ait été entrepris.
Vingt ans après, le référendum apparaît comme une victoire politique pour Bouteflika, mais une réconciliation inachevée pour la société. Contrairement à l’Afrique du Sud, qui avait choisi une Commission vérité et réconciliation, ou au Maroc, qui avait organisé des auditions publiques à travers l’Instance équité et réconciliation, l’Algérie a préféré l’oubli institutionnalisé. Les victimes n’ont pas eu l’occasion de témoigner, et la société n’a pas pu écouter.
Aujourd’hui encore, alors que l’Algérie traverse des crises économiques et sociales, la question reste entière. Peut-on bâtir un avenir démocratique quand une partie de l’histoire récente est restée interdite de parole ? Vingt ans après, les familles de disparus continuent d’attendre une vérité qu’on leur refuse. L’État considère que la page est tournée. Mais entre les morts sans sépulture et les vivants sans réponses, l’ombre de la décennie noire plane toujours, intacte, sur la société algérienne.
Amine B.



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