L’affaire Hamlaoui-Melizi, révélatrice d’un système judiciaire sous influence
- cfda47
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Dernière mise à jour : il y a 50 minutes

Le 30 octobre 2025, l’éditrice et écrivaine Salima Melizi est arrêtée à Alger suite à une plainte déposée par Ibtissam Hamlaoui, présidente de l’Observatoire national de la société civile et du Croissant-Rouge algérien. En cause : un commentaire publié sur Facebook jugé diffamatoire. Moins de 24 heures plus tard, Melizi est relâchée. Mais l’affaire, loin d’être close, soulève une onde de choc dans les milieux de la presse indépendante et des droits humains.
L’arrestation de Salima Melizi a suscité une vague de soutien massive et spontanée à travers l’Algérie et au-delà. Cette intervention judiciaire fulgurante a ravivé les critiques sur l’usage disproportionné de la détention provisoire, mettant en lumière une tendance où les plaintes déposées par des personnalités institutionnelles ou proches du pouvoir semblent jouir d’un traitement prioritaire et accéléré.
Ibtissam Hamlaoui fait l’objet de critiques croissantes, notamment pour son rôle perçu comme instrumentalisé au service du pouvoir, son discours déconnecté de la réalité associative, et son usage controversé de la justice contre des voix indépendantes.
Salima Melizi est -pour sa part- apparue comme une figure de résistance intellectuelle, dont l’arrestation a cristallisé un rejet plus large des intimidations contre les voix indépendantes. Son cas est devenu un symbole : celui d’une société civile qui refuse de se taire.
Une justice éclair… pour les puissants
La rapidité de la procédure — arrestation, détention provisoire, puis libération — interroge. Pourquoi une plainte pour propos en ligne, sans menace ni incitation à la haine, déclenche-t-elle une telle mobilisation judiciaire ? Pourquoi cette célérité quand tant d’affaires de journalistes, de militants ou de citoyens ordinaires stagnent dans les limbes procédurales ?
La réponse semble tenir en un nom : Ibtissam Hamlaoui. Figure institutionnelle, proche des cercles du pouvoir, elle incarne une société civile sous tutelle, souvent mobilisée pour défendre les positions officielles. Lorsqu’elle dépose plainte, la justice s’active. Lorsqu’elle menace Bernard-Henri Lévy de poursuites pour « propos hostiles envers l’Algérie », les médias publics en Algérie, relaient sans réserve. Ce deux poids deux mesures révèle une justice à géométrie variable, où l’indépendance s’efface devant l’influence.
Une atteinte à la liberté d’expression
Médecin de formation et ancienne députée du FLN, Ibtissam Hamlaoui a consolidé son ascension politique en s’appuyant sur des relations privilégiées avec le cercle présidentiel et l’ex-chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah. Sa nomination à la tête de l’Observatoire national de la société civile et du Croissant-Rouge algérien est souvent interprétée comme le résultat d’un lobbying soutenu, davantage que comme la reconnaissance d’un engagement concret sur le terrain associatif. Alignée sur les discours officiels, elle renforce l’image d’une responsable mobilisée pour défendre les intérêts du régime plutôt que les droits des citoyens.
Salima Melizi, quant à elle, n’est pas une inconnue. Éditrice engagée, elle a publié des textes sur la mémoire, la résistance, et les droits des femmes. Son arrestation, même brève, constitue une atteinte à la liberté d’expression. Elle rappelle que le simple fait de critiquer une personnalité publique peut exposer à des représailles judiciaires, surtout lorsque cette personnalité est adossée à des institutions étatiques.
Dans un pays où les journalistes sont régulièrement poursuivis pour « atteinte à l’ordre public » ou « diffamation », cette affaire illustre une dérive inquiétante : la judiciarisation du débat public au profit des puissants.
Une affaire symptomatique d’un héritage autoritaire
L’affaire Hamlaoui-Melizi ne surgit pas dans un vide. Elle s’inscrit dans une longue tradition de pratiques politiques et judiciaires héritées de l’Algérie post-indépendance, où l’appareil judiciaire a souvent été utilisé comme un levier de contrôle social et politique.
Depuis 1962, le pouvoir algérien a régulièrement mobilisé la justice pour neutraliser les voix dissidentes, qu’elles soient issues du champ politique, syndical, intellectuel ou médiatique. Les procès pour « atteinte à l’ordre public », les détentions arbitraires, et les campagnes de diffamation ont jalonné l’histoire du pays, de la répression des opposants au parti unique jusqu’aux poursuites contre les figures du Hirak.
Dans ce contexte, la plainte déposée par Ibtissam Hamlaoui contre une éditrice critique, suivie d’une arrestation éclair, ne fait que raviver le souvenir d’un système où la justice ne protège pas les faibles contre les puissants, mais les puissants contre la critique.
Une mobilisation nécessaire
Des voix s’élèvent pour dénoncer cette instrumentalisation de la justice. Des collectifs de journalistes, des associations de défense des droits humains, et des citoyens appellent à une réforme profonde du système judiciaire, à l’abandon des poursuites politiques, et à la protection effective de la liberté d’expression.
Ce n’est pas une dérive nouvelle, mais la persistance d’un modèle. Un modèle où les institutions censées garantir les droits deviennent des instruments de dissuasion. Où la société civile est encadrée, cooptée, ou réprimée. Où l’indépendance de la justice reste une promesse sans traduction concrète. L’affaire Hamlaoui-Melizi ne doit pas être un simple fait divers. Elle doit devenir un signal d’alarme. Car une justice qui protège les puissants et réprime les voix critiques n’est pas une justice : c’est un outil de domination.
Nadia B



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