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La répression applaudie en Algérie : le naufrage moral d’une société

  • cfda47
  • 13 juil.
  • 3 min de lecture
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« (…) tout pouvoir, même quand il s'impose d’abord par la force des armes, ne peut dominer et exploiter durablement une société sans la collaboration, active ou résignée, d’une partie notable de ses membres », écrivait, au 16ème siècle, Etienne de la Boétie dans son Discours sur la servitude volontaire, un essaie philosophique sur la prédisposition de certains peuples à accepter la servitude ou tout au moins à la justifier. Cette thèse, développée à l’époque des Royaumes médiévaux et du règne de l’Eglise, reste malheureusement valable dans les sociétés d’aujourd’hui. En Algérie, certains comportements vont parfois plus loin que cette conception de la servitude volontaire qui est expliquée par la précarité de l’emploi ou la fragilité de la situation sociale de certains. Non seulement ils deviennent des laudateurs des gouvernants du moment -comme ils l’étaient hier avec d’anciens chefs faisant de la maxime « le roi est mort vive le roi » leur slogan- mais ils poussent le bouchon plus loin : ils justifient ou expliquent la répression ou l’injustice.


L’un des visages de ce tropisme envers l’autoritarisme est caractérisé par la justification de l’injustice, a fortiori lorsque la personne condamnée est du clan opposé. Ainsi, de nombreux algériens, parmi lesquels d’anciens activistes, donc forcément défenseurs d’une justice indépendante, ont justifié le triste sort réservé à l’ancien Garde des Sceaux, Tayeb Louh. Ce dernier devait sortir de prison en avril dernier. Il préparait ses affaires pour quitter le centre de détention après 5 ans de prison quand des gardiens des lieux viennent l’informer que le directeur de l’établissement voulait le voir.


Arrivé devant le responsable, Tayeb Louh le trouve en compagnie d’un… juge qui lui notifie de nouvelles accusations. Il sera condamné, quelques semaines plus tard, début juillet, à quatre ans de prison supplémentaires ! Loin de nous l’idée de disculper ou d’inculper qui que ce soit, surtout que l'homme a fait partie des fossoyeurs de la justice algérienne. Mais cette manière de procéder sonne comme un règlement de compte. Or, une justice de la vengeance n’en est pas une.


D’autres ont commenté la condamnation du secrétaire général de l’Alliance nationale républicaine (ANR) Belkacem Sahli à 4 ans de prison en rappelant ses positions pro-régime sous Abdelaziz Bouteflika. D’autres se délectent de voir Boualem Sansal croupir en prison sur la base de simples vidéos, souvent sorties de leur contexte ou sur la base de procès organisés sur les réseaux sociaux. Plus grave, d’autres profitent d’un deuil que vient de connaître l’écrivain Kamel Daoud qui vient de perdre sa mère pour l’attaquer de nouveau et lui demander de rentrer dans un pays où on peut passer plusieurs années en prison sans véritable procès.


Plus grave que tout, c’est cette tendance qu’ont certains Algériens, notamment des activistes d’hier qui sortaient dans les rues pour réclamer la liberté pour tous, à éviter de regarder des atteintes aux droits les plus élémentaires de leurs concitoyens dont certains subissent carrément un déni de justice. Pour se faire bonne conscience, ils font semblant de partager la rhétorique officielle qui évoque à chaque fois la menace extérieure comme un argument solide pour ne pas contester les choix et les agissements des gouvernants. Cela s’appelle de la fuite en avant et, au pire, de la lâcheté. Parce que la peur se comprend, mais elle a un remède : le silence. Mais la justification de l’injustice est le degré zéro de la lâcheté.


Cette dénonciation lucide et percutante de la banalisation de l’injustice en Algérie, particulièrement lorsqu’elle trouve appui chez ceux qui devraient en être les premiers opposants est inspirée des réflexions d’Étienne de La Boétie. Cette analyse met en évidence un paradoxe troublant : la servitude n’est pas uniquement le fruit de la contrainte, mais résulte aussi d’une adhésion tacite, parfois volontaire, de ceux qui la subissent. Cette complaisance révèle les ressorts invisibles d’un pouvoir qui perdure, non par la seule force, mais par la résignation, voire l’approbation silencieuse, de ses propres victimes.



E. Wakli

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