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Un syndicaliste en prison, une démocratie en question : le cas Saidi symbole d’une dérive

  • cfda47
  • 18 juil.
  • 4 min de lecture
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Le tribunal de Sidi M'hamed (Alger) a condamné jeudi, le secrétaire général de la Fédération nationale des travailleurs du transport ferroviaire à deux ans de prison ferme assortis d'une amende de deux millions de dinars pour avoir appelé à une grève ouverte.


Arrêté le 5 juillet dernier, le syndicaliste Lounis Saïdi a été jugé, hâtivement, et condamné à deux ans de prison et deux millions de dinars d’amende. Cette décision judiciaire fait suite à l'appel lancé par le syndicaliste le 25 juin dernier à une grève ouverte. Ce mouvement visait à protester contre les conditions de travail dégradées et à réclamer des augmentations salariales. Saidi dénonçait également “les ingérences de l'administration dans les affaires syndicales”, des revendications qu'il qualifiait de légitimes au regard du droit du travail.


Cette condamnation du syndicaliste des Cheminots est d’autant plus intrigante qu’elle est intervenue très rapidement. Lounis Saïdi a en effet été arrêté le 5 juillet et mis sous mandat de dépôt le lendemain. Les faits remontent au 25 juin, date à laquelle Saidi avait adressé un préavis officiel au ministre des Transports. Ce document annonçait l'intention de la fédération de déclencher un mouvement de grève national à compter du 7 juillet. Une décision qui n’a pas été du goût des autorités qui ont non seulement arrêté le syndicaliste, mais ont poussé à l’organisation d’une Assemblée générale le 6 juillet afin de le remplacer à la tête du syndicat et lui enlever la casquette de syndicaliste.


Le préavis dénonçait plusieurs violations affectant le secteur ferroviaire, notamment le non-respect des articles constitutionnels 69 et 70, ainsi que le contournement des lois encadrant l'action syndicale. La liste des griefs énumérés par la fédération était longue. L’on citera, entre autres, absence de dialogue avec les partenaires sociaux, interventions administratives dans les affaires syndicales, traitement arbitraire des représentants des travailleurs, irrégularités dans l'organisation des élections des comités paritaires, et marginalisation des compétences pour des raisons non professionnelles. S'ajoutaient la mauvaise gestion des dossiers de retraite et de recrutement, ainsi que la privation des droits sociaux des employés, notamment l'accès aux camps de vacances d'été. Malgré ces accusations, la fédération maintenait sa disposition au dialogue, menaçant de porter l'affaire devant le président de la République en cas de persistance du silence officiel. Cette ouverture n'avait pas empêché l'escalade qui allait suivre.


L'incarcération de Saidi le 5 juillet, soit deux jours avant la grève prévue, avait immédiatement changé la donne. Le lendemain, le bureau fédéral s'était réuni en session extraordinaire sous la présidence du nouveau secrétaire général, Mohamed Jebrani. Le nouveau « syndicaliste » a tout de suite annulé l’appel à la grève et jeudi 17 juillet, il a rendu public un communiqué pour lettre en garde ses collègues contre les velléités de « désordre », une preuve de l’existence d’un mouvement de protestation parmi les Cheminots. Cette réunion avait donc abouti à l'annulation officielle de la grève, le nouveau leadership qualifiant la décision précédente d'illégale.


Le communiqué diffusé après cette réunion affirmait que l'appel à la grève violait les dispositions de la loi 90/02 relative aux conflits collectifs et au droit de grève, particulièrement les articles 51 et 52. Cette violation rendait selon eux la décision de l'ancien secrétaire général caduque et sans effet juridique.


La nouvelle direction avait insisté sur la nécessité de respecter les cadres légaux et institutionnels dans l'exercice de l'action syndicale. Elle avait appelé tous les travailleurs à s'en tenir à la légalité pour préserver la stabilité du secteur et les intérêts des employés. Mohamed Jebrani avait précisé que la porte du dialogue resterait ouverte, tout en réaffirmant le refus de la fédération de tout mouvement en dehors des cadres légaux.


Dans un communiqué rendu public, le Parti des Travailleurs (PT) a dénoncé « un développement sans précédent d'une extrême gravité » car il s’agit de « la criminalisation judiciarisation du droit de grève et plus généralement de la pratique syndicale indépendante et il s'agit de la caporalisation des syndicats par l'interférence directe de la direction et autres instances dans leurs affaires internes avec pour objectif de les neutraliser ». Plus que cela, le parti que préside Louisa Hanoune qualifie cette décision de « dérive gravissime » qui « vient établir la dangerosité des modifications introduites dans les lois portant exercice du droit syndical et du droit de grève », en référence à la révision des deux lois l’an dernier ; une décision dénoncée par toutes les organisations syndicales, y compris l’UGTA, qui fait d’ailleurs office de syndicat officiel.


Lounis Saïdi est le premier syndicaliste à être ainsi mis en prison de manière rapide pour en faire un exemple. Des enseignants appartenant au CNAPESTE (Conseil national des Professeurs de l’Enseignement secondaire et ternaire de l’éducation nationale) ont été mis sous un contrôle judiciaire après avoir tenté d’organiser des sit-in régionaux. Mais c’est la première fois qu’un représentant syndical a été mis en détention pour servir d‘exemple aux autres. Pourtant, le chef de l’Etat a déjà indiqué que « le droit de grève est protégé », notamment par la Constitution qui en fait un des droits les plus élémentaires en plus de celui de créer et d’adhérer à un syndicat.


Bizarrement, aucune organisation syndicale, relevant de l’UGTA ou des syndicats autonomes, n’a encore réagit à ce qui s’apparente à un déni de droit. En principe, Lounis Saïdi est sous la protection de la Centrale syndicale, dont la tâche affichée est désormais moins de défendre les travailleurs mais de faire la promotion des décisions officielles, y compris celles qui remettent en cause un droit élémentaire comme celui de faire grève.


Néanmoins, l'arrestation de Saidi avait provoqué des réactions contrastées dans les milieux ouvriers. De nombreux travailleurs avaient exprimé sur les réseaux sociaux leur surprise et leur désapprobation face à ce qu'ils considéraient comme une criminalisation de l'action syndicale. Ces réactions traduisaient une perception selon laquelle l'arrestation serait directement liée à la posture revendicative adoptée par le dirigeant syndical.

 

Amine. B et E. Wakli


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