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Accusés de “terrorisme”, acquittés trop tard : le prix de témoigner en Algérie

  • cfda47
  • 18 sept.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 sept.

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Dans son rapport annuel sur les représailles, l’ONU cite encore l’Algérie. Les mêmes noms reviennent, ceux de journalistes et syndicalistes accusés de « terrorisme » pour avoir parlé. Acquittés après des années de procédures, ils restent l’exemple d’un pays qui punit par la justice celles et ceux qui osent témoigner.  


À Genève, le Secrétaire général de l’ONU a de nouveau cité l’Algérie dans son rapport annuel sur les représailles. Ce n’est pas une surprise. Cela fait plusieurs années que les mêmes noms s’y accrochent, comme un rappel obstiné : Jamila Loukil, Kaddour Chouicha, Saïd Boudour, Mustapha Bendjamaa, Ahmed Manseri et Malik Riahi. Des militants civiques, des journalistes, des syndicalistes. Des femmes et des hommes qui ont voulu témoigner devant des instances internationales et qui, pour cela, ont été poursuivis, interdits de voyager, ou traînés devant les tribunaux.  


Tout commence, ou plutôt tout s’accélère, au printemps 2021. À Oran, Jamila Loukil et son mari Kaddour Chouicha sortent du tribunal lorsqu’ils sont arrêtés. Pas de mandat, pas d’explications. On les embarque, on fouille leur domicile, on saisit leurs ordinateurs. Le parquet sort alors l’arsenal lourd : complot contre la sûreté de l’État, propagande d’inspiration étrangère, appartenance à une organisation terroriste. En quelques heures, une journaliste et un syndicaliste se retrouvent rangés dans la catégorie des « menaces » à abattre. C’est une scène banale et glaçante à la fois : la procédure pénale utilisée comme matraque, le soupçon de terrorisme collé sur des figures connues pour leur activité publique, non violente.  


Puis viennent les coups plus insidieux. Août 2022, même couple, même ville. Loukil et Chouicha doivent prendre un vol pour Genève. Ils sont invités à participer à une session préparatoire de l’Examen périodique universel, où l’Algérie doit rendre des comptes. Mais à l’aéroport d’Oran, on leur bloque l’embarquement. Pas de papier, pas d’explication, juste un interdit. Ils apprendront plus tard qu’ils sont frappés d’une interdiction de voyager. C’est la version moderne de la censure : empêcher les témoins d’aller raconter ce qui se passe au pays.  


Le journaliste Saïd Boudour suit le même chemin de croix. Membre de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, il couvre le Hirak, il écrit, il prend position. Et lui aussi se retrouve poursuivi, placé sous contrôle judiciaire, avec pour horizon la prison. Le mot « terrorisme » revient dans son dossier comme un refrain absurde.  


En novembre 2022, un juge d’instruction reconnaît l’évidence et propose un non-lieu. Mais l’affaire traîne encore deux ans. Ce n’est qu’en février 2025 que la Cour d’appel criminelle d’Alger acquitte définitivement Loukil, Chouicha et Boudour. L’acquittement tombe comme une conclusion logique, mais aussi comme une gifle : quatre années perdues, interdit de voyager, réputation salie, vie professionnelle paralysée. En Algérie, la punition se fait par la procédure, et l’innocence reconnue n’efface rien.  


Derrière eux, d’autres noms apparaissent dans le rapport onusien. Mustapha Bendjama, l’ancien rédacteur en chef du quotidien régional Le Provincial (Annaba), arrêté en 2019 pour ses écrits, figure toujours sur la liste. Ahmed Manseri et Malik Riahi, moins connus, y sont eux aussi, preuve que leurs dossiers n’ont jamais été réglés. Leurs cas sont cités en annexe II : la rubrique des situations « persistantes », celles que l’ONU considère toujours comme non résolues. C’est une manière polie de dire que l’État algérien n’a rien corrigé.  


La mécanique est connue. Le pouvoir use et abuse des articles antiterroristes du Code pénal pour criminaliser des activités pacifiques. L’article 87 bis, brandi à tout propos, sert de fourre-tout pour transformer militants, journalistes ou syndicalistes en suspects. La dissolution de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, en juin 2022, a ajouté une dimension structurelle à cette offensive : priver les militants de leur maison commune, les isoler pour mieux les réduire au silence. À cela s’ajoutent les coups discrets mais efficaces : interdictions arbitraires de voyager, perquisitions, agressions policières. Chouicha et son fils, frappés en pleine rue par des policiers en 2021, en ont fait l’expérience.  


Dans le rapport de septembre 2025, l’Algérie se retrouve citée aux côtés de la Russie, de la Chine, de l’Égypte ou du Venezuela. Pas vraiment la compagnie qu’un État revendique lorsqu’il veut incarner un multilatéralisme « équilibré ». Les autorités ont répondu à la note verbale du Secrétariat, comme pour sauver les apparences. Mais à Genève, on maintient les cas dans le rapport. Rien n’est réglé, rien n’est effacé.  


Et pendant ce temps, à l’intérieur du pays, l’effet est palpable. Chaque militant, chaque journaliste, chaque syndicaliste sait désormais qu’un courrier à l’ONU, une rencontre avec un rapporteur spécial, peut lui valoir une convocation, une interdiction de voyager, un procès interminable. Ce n’est pas une menace abstraite, c’est une expérience vécue. Résultat : l’autocensure, la peur, le silence.  


Le rapport A/HRC/60/62 n’apporte pas de révélations inédites, mais il rappelle une vérité simple : en Algérie, la défense des droits humains se paie au prix fort. Même acquittés, Loukil, Chouicha, Boudour et les autres restent marqués à vie par ces années de procédures. Et leur présence répétée dans les rapports onusiens confirme que, pour la communauté internationale, les représailles ne sont pas des accidents isolés mais une politique assumée.  


Amine B.  


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