“Une atteinte directe à l'État de droit”, dénonce le RCD après l'expulsion de Nassera Dutour
- cfda47
- 1 août
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Citoyenne algérienne de 70 ans, mère d'un disparu de la décennie noire, Nassera Dutour a été expulsée de son pays natal le 30 juillet. Un refoulement qui ravive le débat sur les dérives autoritaires du pouvoir et fait scandale jusque dans les rangs de l'opposition politique.
À 16h30, le 30 juillet dernier, à l'aéroport Houari Boumediene d'Alger, une femme de 70 ans se présente aux autorités frontalières algériennes. Trois heures plus tard, elle remonte dans un avion Air France en direction de Paris. Nassera Dutour venait de vivre l'humiliation d'être expulsée de son propre pays.
Cette militante franco-algérienne des droits humains, présidente du Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA), incarne depuis près de trente ans la mémoire des victimes de la décennie noire. Son fils Amine Amrouche, arrêté en janvier 1997 à l'âge de 20 ans, fait partie des milliers d'Algériens portés disparus pendant la guerre civile. Depuis, cette mère n'a cessé de réclamer la vérité.
L'expulsion de Nassera Dutour a provoqué une onde de choc dans les rangs de l'opposition et des défenseurs des droits humains. Athmane Mazouz, président du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), a immédiatement dénoncé cette mesure dans un communiqué au vitriol. Pour lui, ce refoulement bafoue les règles les plus élémentaires du droit.
“Aucune disposition légale, ni aucune considération administrative, ne saurait justifier le refus d'entrée d'un citoyen algérien sur le territoire national, encore moins son expulsion forcée vers un pays tiers”, écrit-il. Le dirigeant du RCD n'hésite pas à établir un parallèle historique glaçant : “De telles pratiques constituent des violations graves des droits fondamentaux garantis par la Constitution algérienne et ravivent le souvenir douloureux des déportations de l'époque coloniale.”
Pour Atmane Mazouz, l'affaire Dutour dépasse le cas individuel. Il y voit une attaque frontale contre les principes républicains.“Refuser à un citoyen l'accès à son propre pays, ou procéder à son éloignement sans décision judiciaire, transparente et contradictoire, revient à lui dénier de fait sa citoyenneté”, estime -t-il. Et d’ajouter : “Il s'agit d'une atteinte directe à l'État de droit et à la souveraineté populaire, laquelle repose sur le respect des droits civiques de chaque individu.”
L'ancien député de Béjaïa alerte sur les conséquences à long terme de telles pratiques. Selon lui, elles “créent un précédent dangereux : celui d'un pouvoir exécutif qui se place au-dessus de la loi et s'arroge le droit de décider qui peut ou non jouir de sa nationalité”. Une dérive qui, selon ses mots, “ouvre la voie à l'arbitraire et fragilise davantage la confiance entre les citoyens et les institutions.”
Le président du RCD appelle à la mobilisation : “Il est donc du devoir de toutes les forces attachées aux principes républicains et aux droits humains de se mobiliser pour faire cesser ces violations, et rappeler que la nationalité algérienne ne saurait être suspendue au bon vouloir du pouvoir en place”. Il conclut par un message de solidarité direct : “À cet égard, nous exprimons notre entière solidarité à Madame Nassera Dutour, victime d'un traitement indigne et arbitraire de la part des autorités algériennes.”
Trois heures de rétention à l'aéroport d'Alger
Les détails de l'incident, rapportés dans un communiqué conjoint du CFDA et de la Fédération Euro-Méditerranéenne contre les Disparitions Forcées (FEMED), dessinent le portrait d'une procédure kafkaïenne. “Dès son arrivée au poste-frontière, à 16h30 (heure algérienne), Nassera Dutour a été retenue pendant trois heures par la police, et questionnée avant d'être refoulée vers la France à bord du vol AF 1455 d'Air France, sans aucune justification”, précise le texte publié jeudi.
Pour les organisations de défense des droits humains, cette expulsion “constitue une violation flagrante de l'article 49 de la Constitution algérienne, ainsi que de la loi n°08-11 du 25 juin 2008 relative aux conditions d'entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie”. Elles soulignent l'absurdité juridique de la situation : “Nassera Dutour est de nationalité algérienne et ne représente aucune menace pour l'ordre public. Elle s'est présentée légalement aux autorités frontalières, sans faire l'objet d'aucune décision d'interdiction d'entrée sur le territoire national.”
Au-delà de l'aspect légal, le CFDA et FEMED y voient une stratégie politique plus large. Pour elles, cet incident “constitue un précédent grave” qui “témoigne d'une volonté claire des autorités algériennes de museler la société civile, d'entraver les activités légitimes des défenseurs des droits de l'homme”. Dans leur lecture des événements, l'expulsion de Nassera Dutour symbolise “un pouvoir qui continue de fuir son histoire, et qui choisit de sanctionner tous ceux qui refusent l'oubli et réclament justice”.
Cette analyse prend tout son sens quand on connaît le parcours de la militante. Comme le rappellent les organisations, “pendant la guerre civile qui a ensanglanté l'Algérie dans les années 1990, plus de 8000 personnes ont été enlevées- leur sort demeure inconnu à ce jour.” Nassera Dutour, dont le fils fait partie de ces disparus, “combat sans relâche pour faire entendre la voix des disparus, face au silence des autorités algériennes et régionales.”
C'est précisément cette mémoire qui dérange, selon le communiqué. “Sa présence en Algérie dérange, non parce qu'elle menacerait l'ordre public, mais parce qu'elle oppose à la politique de l'oubli la persévérance des familles, le droit inaliénable de savoir, et la dignité des victimes”. Une analyse que résume parfaitement la citation de Nassera Dutour qui clôt le communiqué : “Mon fils a disparu. Et voilà qu'on m'efface à mon tour. Mais, tant que je pourrai parler, je le ferai. Pour lui. Pour les autres. Pour la mémoire. Pour la justice.”
Amine B.
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